Entretien

Entretien avec
Edwige Diaz et Jean-Jacques Urvoas

Réalisé de septembre à décembre 2022

mercredi 12 avril 2023, par SIMON Gauthier

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Pour aborder la question de la crise et de l’engagement politique, nous nous sommes entretenus respectivement avec Edwige Diaz, députée Rassemblement national de Gironde (11e circonscription), et Jean-Jacques Urvoas, membre du Parti socialiste et ancien député (2007-2017) et ministre de la Justice (2016-2017).

Pour commencer, quelle serait votre définition, qu’est-ce qui serait pour vous l’engagement politique ?

Edwige Diaz : Pour être efficace, l’engagement politique doit être motivé par une envie de s’engager, de vraiment s’engager pour l’intérêt général, c’est-à-dire qu’il faut avoir beaucoup d’empathie parce qu’à partir du moment où on fait de la politique, on est amené à rencontrer toute sorte de personne. Notamment des personnes, plus que par rapport à quelques années, qui sont vraiment dans une détresse. Il faut faire preuve d’empathie pour écouter ces personnes et ensuite d’imagination pour trouver des solutions. Parce que je crois que rien ne va. Je ne connais pas une seule personne qui me dit que tout va bien dans son métier. Quand vous faites de la politique, c’est donc vraiment un engagement total parce que vous êtes quotidiennement sollicité par des personnes qui voient leur situation se détériorer et qui vous alertent pour trouver des solutions.

Jean-Jacques Urvoas : L’engagement politique est un moyen de chercher à concrétiser ses convictions. La volonté de ne pas se contenter des idées mais d’essayer de les confronter au réel.

Quand et comment avez-vous commencé à vous engager politiquement ?

Jean-Jacques Urvoas : J’ai toujours eu le sentiment de l’être. Je peux bien sûr citer comme référence la date à laquelle j’ai adhéré à un parti politique, mais au vrai je me suis toujours intéressé à la chose publique et j’ai invariablement considéré qu’il s’agissait d’un domaine où je ne devais pas rester spectateur. Matériellement, c’est à l’occasion des élections municipales à Brest en 1977, lors de la victoire de la liste d’union de la gauche que je me suis dit que je ne pouvais pas rester sur le quai. Je voulais contribuer à ce que ce succès électoral se concrétise dans des changements pour les brestois. Mais pour être honnête, je suis parti du PS à peine six mois plus tard car je m’y étais profondément ennuyé. J’y suis cependant revenu après la défaite de la gauche aux élections législatives en 1978 après avoir écouté, le 12 mars 1978, Michel Rocard en tirer des conclusions et proposer un chemin pour conduire le PS au succès en 1981. J’ai donc repris ma carte pour appuyer sa démarche mais à nouveau, déçu par le choix de la candidature de François Mitterrand, j’en suis reparti. C’est l’opportunité de travailler, en parallèle de mes études universitaires, pour un député socialiste que j’ai repris ma carte. Et depuis 1984, je suis resté fidèle au PS en dépit des vicissitudes, y compris les plus récentes.

Edwige Diaz : Quand je me suis engagée au Rassemblement national il y a dix ans, je n’avais pas du tout imaginé que je pouvais devenir députée. C’était juste pour rendre service, je voulais apporter ma pierre à l’édifice mais je n’avais pas conscience qu’il y avait une telle détresse dans notre pays. Comme je n’étais pas élue, les gens ne venaient pas m’expliquer leurs problèmes. Ça a été progressivement en 2012, parce qu’en 2007 j’avais voté Sarkozy. J’avais aimé son appréciation de la valeur travail, son souhait du retour de l’ordre avec le fameux « karcher ». Et puis en 2012 j’ai été assez déçue « qu’est-ce qu’il a fait en cinq ans ? » Pas grand-chose. Je me suis dit qu’il fallait que je vote pour quelqu’un d’autre et je ne savais pas du tout pour qui voter. Donc j’ai lu tous les programmes et quand j’ai lu celui de Marine Le Pen, je me suis dit que c’était exactement ce qu’il fallait pour le pays. Pour l’accès à l’emploi, ce qu’on appelle aujourd’hui le « localisme », pour faire d’abord travailler les entreprises françaises, de l’ordre, de la solidarité nationale... Pour les élections européennes de 2014, je suis allée la voir à un meeting et là j’ai confirmé mon vote de 2012. J’ai eu l’occasion de lui donner ma carte de visite. Le responsable local de l’époque, Jacques Colombier, m’a appelée et on m’a un jour demandé si je voulais distribuer des tracts sur un marché et j’ai dit « oui ». La bonne ambiance, les idées qu’on porte… D’un petit coup de main quand je ne travaillais pas, à un grand coup de main, voilà en dix ans comment ça s’est produit.

Quel est votre regard sur ce qu’on nomme communément la « crise » de l’engagement politique ?

Edwige Diaz : Moi en ce qui me concerne, c’est plutôt le contraire parce que je suis totalement engagée. Il y a peut-être moins de personnes qui vont voter, mais les personnes qui votent vont gagner en assiduité. Donc je ne vois pas une crise parce qu’au niveau de la Gironde je constate une augmentation du nombre de cartes et qu’on arrive à présenter de plus en plus de candidats aux élections. Par exemple en 2014, on avait présenté une quinzaine de listes à l’échelle de la Gironde, en 2020, 25. Je pense qu’il y a d’une part, un décrochage de citoyens qui se réfugient dans l’abstention, là notre travail est de les récupérer, et d’un autre côté, des gens qui s’engagent plus, prennent leur carte, parce qu’elles ne veulent pas rester inactives face à la gravité de la situation de cette France qui s’enlise.

Jean-Jacques Urvoas : En vérité, je crois que la crise de l’engagement est consubstantielle à l’existence des partis politiques. Il n’y a jamais eu d’âge d’or pour ces derniers en France. Ils n’ont jamais été vus comme des acteurs indispensables au débat public. Toute bonne bibliothèque de science politique recèle nombre d’ouvrages consacrés aux partis politiques soulignant leur inutilité ! L’ouvrage, en sus de la célèbre réflexion de Simone Weil qui date de 1950, qui me vient à l’esprit est celui de Robert Hue publié en 2014 « Les partis vont mourir... Et ils ne le savent pas ! ». Je ne me souviens pas d’avoir eu accès à une littérature laudatrice des partis politiques. Partant, si l’objet politique est déprécié en permanence, pourquoi s’étonner que l’engagement en son sein soit constamment dévalorisé ? Il est ainsi révélateur que les adhérents soient souvent décrits comme « des malades ou des ambitieux » ! Je peux pourtant attester que ce manichéisme ne recouvre pas la totalité de la réalité…

Qu’est-ce qui pousse les militants à s’engager aujourd’hui ?

Edwige Diaz : Ils ont envie de changement. Ou ils constatent que ce qui se passe dans la mairie ne leur plaît pas. Donc au lieu d’être assis dans leur fauteuil, ils s’engagent pour être acteur d’un changement. Les gens osent dire plus qu’ils sont Rassemblement national. Certains à cause de leur patron ou de la collectivité dans laquelle ils travaillent. Mais le frein commence à se réduire.

Jean-Jacques Urvoas : Je vois que l’engagement est comme le reste du pays. C’est qu’il y a des modes. Les modes qui mobilisent les étudiants sont l’écologie, les questions de finitude de la planète… L’attention au plus loin, l’univers, et au plus proche, c’est-à-dire qu’on se mobilise contre la pauvreté qu’on voit dans la rue. L’infiniment petit et l’infiniment grand, ce sont des sujets sur lesquels les étudiants arrivent à se polariser. Ils font une marche pour le climat et après ils font autre chose.

Que pensez-vous de l’institutionnalisation du Rassemblement national ? Échappe-t-il à la crise de l’engagement politique ?

Jean-Jacques Urvoas : Vous savez que cela a tendance à me rassurer. Parce que 89 personnes qui rejettent une institution, un régime et qui cherchent à se faire accepter par une institution, je trouve cela rassurant parce que je crois que le régime est plus fort que ses partis. Donc si cela peut contribuer à la rendre moins inquiétant, cela ne sera que du bénéfice collectif. La normalisation ne sera pas sans incidence sur les idées. Une amodiation des idées de ce parti politique ne sera que bénéfique pour l’ensemble. Je préfère avoir 89 députés qui préfèrent susciter le respect plutôt que 89 énervés. Mais je ne suis pas sûr que les 89 parlementaires soient aussi conscients de la nécessité de normalisation. Je pense qu’il y en a beaucoup pour qui leur tempérament n’est pas compatible avec la normalisation. « L’institutionnalisation » d’une force électorale ne peut passer que par la modération de ces propositions. Cet optimisme doit cependant être modéré par la prudence : une affirmation même répétée ne peut suffire à convaincre. Depuis Machiavel, on sait la nécessité de « se couvrir de la peau du renard » pour dissimuler ses expressions, ses intérêts, ses moyens et ses objectifs. La stratégie de dédiabolisation conduite par les responsables du groupe du Rassemblement national à l’Assemblée comme Madame Diaz est évidente. Elle mérite cependant de subir l’épreuve des faits.

Edwige Diaz : On est amenés à rencontrer un certain nombre de dirigeants, de grands patrons, de collectivités qui n’avaient pas lieu de nous recevoir avant. J’ai reçu des traditionnels courriers de félicitations d’élection de député. J’ai donc demandé des rendez-vous avec ceux qui m’ont envoyé des courriers. Même chose avec les maires, même si certains refusent les rendez-vous de courtoisie que je leur propose. Pour la crise de l’engagement politique appliquée au Rassemblement national…
Écoutez c’est peut-être pompeux de le dire comme ça. Mais oui notre nombre d’adhérents progresse, le nombre de participants à nos réunions publiques progresse, la volonté des militants de s’engager dans des élections progresse… Dans la fédération de Gironde, il se passe toujours quelque chose, on organise toujours un évènement… Un goûter, un apéritif, des réunions… On part du principe qu’on ne va pas dans un cinéma s’il n’y a rien qui s’y passe. Voilà comment on arrive à maintenir le lien, qu’on explique ce qu’on fait dans notre travail d’élu. Pour qu’ils puissent savoir pour mieux répondre avec leurs amis, leurs familles ou leurs collègues. On leur dit « parlez politique ! », et on les invite à venir avec de gens, à qui on doit mettre le pied à l’étrier.

Comment faire face à la volatilité des individus aujourd’hui ?

Jean-Jacques Urvoas : C’est la quadrature du cercle que ne parviennent pas à résoudre les partis. Ils n’arrivent pas s’adapter à des modes d’engagements marqués par l’intermittence. Ce que vous appelez « volatilité » renvoie à l’absence de ténacité évoquée au début de notre échange. Comment concilier le besoin de constance de l’action politique et la disponibilité séquentielle que manifestent parfois les individus ? La contradiction est sévère.

Edwige Diaz : Il se passe toujours quelque chose dans ma circonscription. On fait toujours des marchés. Pas forcément pour faire grand-chose mais juste pour créer du contact. J’ai fait des cartes postales en juillet et en août avec mon score, puis une autre avec nos coordonnées. Donc on n’avait pas forcément de messages politiques à faire passer mais on distribuait des informations parce que les gens étaient contents de nous voir. Quand ils viennent nous voir et nous disent qu’ils ont voté pour nous, on demande leur téléphone pour pouvoir les inviter au prochain évènement qu’on organisera. Il y a toujours un film dans le cinéma. C’est comme ça qu’on fidélise avec un vivier de personnes fidèles.

Sur des sujets où l’engagement relève parfois davantage de la sphère privée que de la sphère publique ou institutionnelle, quel est votre message en tant que personne engagée dans la sphère institutionnelle ?

Edwige Diaz : Ce n’est pas une obligation de s’engager. Voter c’est bien, s’engager c’est encore mieux. On peut râler tranquillement assis sur son canapé, c’est bien. Mais déjà, au lieu de râler, est-ce qu’on vote ? Cela étant, on ne peut pas en vouloir aux gens, il y a un tel manque d’éducation civique depuis l’école, quand je vois le nombre de personnes qui ne voient pas à quoi sert un député. Après ce n’est pas forcément de la faute des gens. On enseigne quelque chose à l’école et apprend ça change tout le temps. Pour les départements, les régions… C’est trop difficile à suivre, entre charcutage électoral et découpage des circonscriptions. Qui fait quoi ? Qui est élu comment ? Qui sert à quoi ? Je mets au défi un citoyen de comprendre, mais ce n’est pas de leur faute.

Jean-Jacques Urvoas : Je vois par exemple les jeunes se mobiliser sur des chantiers pour lesquels ils considèrent leur utilité et la sensibilisation des décideurs. Ils se vivent comme des lanceurs d’alerte. Ils renvoient la question de la responsabilité à d’autres qui ne sont pas eux, c’est-à-dire que je ne les vois pas prendre en main le destin. Ils veulent dire aux responsables « Il y a des sujets qu’il faut mieux prendre en considération », mais ils ne se posent pas la question de remplacer ces responsables-là. C’est pour moi un abîme de réflexion, c’est-à-dire comment se fait-il qu’on se mobilise pour quelque chose et qu’on s’arrête en chemin. Eux considèrent qu’une fois qu’ils ont défilé et signé des pétitions sur internet, ils ont contribué à la prise en compte d’un sujet qui ne l’était pas suffisamment dans l’agenda politique. Mais je ne les ai pas vus se passionner pour la convention citoyenne pour le climat. Il y avait moyen que la déléguée de ma région suscite une agrégation pour nourrir. Je ne crois pas qu’elle ait pris cette initiative, ni qu’elle ait été l’objet d’une sollicitation de cet ordre. Ce sont des modes d’implication relatifs qui ne correspondent pas à l’idée que je me fais de l’engagement.

Enfin, n’y a-t-il pas aussi une crise des élus ?

Jean-Jacques Urvoas : Pour l’élu que j’ai été la réponse était simple : pourquoi agissons-nous ? Pour ceux qui ont voté pour vous pour ceux que vous représentez ? De la réponse dépend votre utilité et le sens que vous donnez à votre mandat surtout quand la participation électorale ne cesse de s’amoindrir.
Si un maire choisit de privilégier ses électeurs, alors la ville qu’il va aménager répondra aux aspirations des retraités qui sont les plus inscrits sur les listes électorales et les votants les plus assidus… Les efforts sur la sécurité, sur la proximité des commerces, sur la fiscalité du patrimoine sont plus accentués. À l’inverse si un élu pense la ville comme un espace de vie et de rencontre pour tous ceux qui y résident, d’autres choix urbanistiques ou culturels en découleront. C’est donc presque une question déontologique. Votre critère d’action est-il la rentabilité électorale ou la transformation sociale ? Quand vous avez 80 % de participation, vous vous ne la posez pas. Quand vous avez 50 % de participation… J’espère qu’on se la pose. Ceux qui militent dans des segments de population très abstentionnistes réfléchissent à cela. Vous savez c’est la vieille phrase de l’Humanité, « intéresse-toi à la politique parce que la politique s’intéresse à toi ». Mais s’il y avait une réponse « pierre philosophale », c’est sûr qu’il y aurait du monde dans les partis politiques. De toute façon, ce n’est qu’un abîme de questions.

Edwige Diaz  : Qu’est-ce qui motivait les anciens élus de ma circonscription à ne pas participer à une commémoration en plein mois août ? Qu’est-ce qui motivait l’ancienne députée à ne pas faire bouger les choses ? Pourquoi elle n’avait rien fait ? J’ai eu un rendez-vous avec une association qui lutte contre les violences faites aux femmes, donc un sujet majeur. Ces personnes m’ont demandé de l’aide pour obtenir une subvention car elles savaient ce qu’elles pouvaient obtenir d’un député. Elles ont demandé qu’on appuie leur demande de subvention par un courrier pour contribuer au rayonnement de l’association. L’ancienne députée ne l’avait pas fait, pour des dames qui n’avaient pourtant pas un profil à voter pour le Rassemblement national.

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