Progrès et crises

 

La revue Crises et Société ambitionne d’interroger la « crise » au travers de ses différentes acceptions, quelles que soient les disciplines qui s’en saisissent. Ce troisième numéro propose d’interroger les liens tissés entre le « progrès » et, la « crise ». Pour éclairer cette relation, le présent appel propose des pistes de réflexion, qui pourront être dépassées.

La révocation de la décision Roe v. Wade sur le droit à l’avortement souligne l’ambivalence et la subjectivité de la notion de « progrès ». En effet, les progressistes voient en la décision Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization de 2022, qui statue que la Constitution américaine ne confère pas le droit à l’avortement, un « retour en arrière », une « régression », alors que les conservateurs y voient plutôt une « avancée », la remise en cause d’une décision auparavant « décadente ».

Communément positivement connoté, le concept de « progrès » comporte une dimension positiviste supposant l’amélioration des conditions des individus. Par son étymologie latine, le terme désigne une « marche en avant ». La définition s’est parée progressivement d’une charge axiologique et normative : d’une simple marche en avant, le progrès semble désormais désigner une progression vers le mieux. Néanmoins, depuis le XVIIIe siècle, les sociétés connaissent une polarisation autour de deux philosophies opposées quant à leur vision du progrès : le progressisme et le conservatisme (Aron, 2014 ; Corcuff, 2021), avec des visions du temps antagonistes. Face à cette opposition, les sciences techniques et économiques préfèrent par exemple l’utilisation des termes « innovation » ou encore « découverte » car considérés comme plus neutres.

Le progrès renvoie et questionne inévitablement les différentes évolutions techniques telles que la 5G, la PMA, la GPA, la reconnaissance faciale, « le métavers » etc (Besnier & Bourg, 2000 ; Morozov, 2014). Également, il interroge certains phénomènes sociaux et sociétaux, comme « l’écologisme » (Latour, 2017), « l’anticolonialisme », « le féminisme », « le wokisme » (Policar, 2022) etc. ; ses partisans se revendiquant du progrès en ce qu’ils militent pour une amélioration des conditions de vie. Ces phénomènes historiques ou plus contemporains sont des formes de remise en cause d’une vision du progrès pour une autre, alimentant ainsi les différentes « crises du progrès ».

À l’heure où les innovations techniques se succèdent, s’accélèrent (Rosa, 2014), nos sociétés contemporaines traversent une crise du progrès (Barilier, 2014 ; Ferro, 1998). Accusant le progrès des crises actuelles et des dangers pour l’avenir, une part croissante de la population mondiale rejette ce qui est présenté comme « une marche en avant », technique, sociale ou sociétale, affirmant que celui-ci n’est pas synonyme d’amélioration effective de leurs conditions de vie.

Comment le progrès est-il défini ? Qu’est-ce qui peut être qualifié comme tel ? Qui est en mesure d’opérer cette qualification ? Une innovation est-elle un progrès si elle mène ensuite à une nouvelle crise ? Les contributions pourront apporter leurs éclairages sur ces questions, mais ne se limiteront pas obligatoirement à celles-ci tant les interrogations autour du progrès et des crises sont multiples. En ce sens, les contributions proposées pourront envisager la thématique au-delà de cet argumentaire, dans une approche multidisciplinaire.

Les propositions doivent être envoyées jusqu’au 10 octobre 2022 à l’adresse direction chez crisesetsociete.com ; elles se composent comme suit : titre, résumé de 500 à 1000 mots, coordonnées et rattachement(s) institutionnel(s) des auteurs. Les articles retenus à l’issue de notre processus éditorial – description sur le site internet de la revue – feront l’objet d’une publication dans le troisième numéro (juin 2023).

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

  • Aron Raymond, Les désillusions du progrès : essai sur la dialectique de la modernité, Paris, Calmann-Levy, 1969.
  • Barilier Etienne, Contre le nouvel obscurantisme : Eloge du progrès, Genève, Editions Zoé, 2014. —*Bourg Dominique et Besnier Jean-Michel, Peut-on encore croire au progrès ?, Paris, PUF, 2000.
  • Canguilhem Georges, « La décadence de l’idée de Progrès », Revue de Métaphysique et de Morale, 4 (1987), p. 437-454.
  • Charbonnier Pierre, Abondance et liberté, Paris, La Découverte, 2020.
  • Corcuff Philippe, « Le progressisme au défi du conservatisme », Pouvoirs, 179 (2021), p.81-89.
  • Cortambert Louis, La religion du progrès, New York, Marcil, 1875.
  • Cosandey David, « Et aujourd’hui, sommes-nous en progrès ou en déclin ? », Le Philosophoire, 36 (2011), p. 39-51.
  • Darwin Charles, On the origin of Species, Londres, John Murray, 1859.
  • Dewey John, « Evolution and Ethics », The Monist, 3 (1898), vol. 8, p. 321-341.
  • Ellul Jacques, Le système technicien, Paris, Calmann-Lévy, 1977.
  • Ellul Jacques, Le bluff technologique, Paris, Hachette, 1987.
  • Ferro Marc, Les sociétés malades du progrès, Paris, Plon, 1998.
  • Friedmann Georges, La Crise du progrès. Esquisse d’histoire des idées, 1895-1935, Paris, Gallimard, 1936.
  • Fukuyama Francis, The End of History and The Last Man, New York, The Free Press, 1992. ; traduction française par Canal Denis-Armand, La fin de l’Histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.
  • Girardeau Émile, Le Progrès technique et la personnalité humaine, Paris, Plon, 1955. Haycraft John Berry, Darwinism and Race Progress, Londres, Sonnenschein, 1895.
  • Jarrige François, Technocritiques : du refus des machines à la contestation des technosciences, —Paris, La Découverte, 2016.
  • Latour Bruno, Où atterrir ? : comment s’orienter en politique, Paris, La Découverte, 2017.
  • Mayer Charles, L’homme ne vaut que par le progrès, New York, Éditions de la Maison française, 1945.
  • Morozov Evgeny V., Pour tout résoudre, cliquez ici : l’aberration du solutionnisme technologique, Limoges, Fyp, 2014.
  • Proudhon Pierre-Joseph, Philosophie du progrès, Bruxelles, A. Lebègue, 1853.
  • Rosa Hartmut et Renault Didier, Accélération : une critique sociale du temps, Paris, La Découverte, 2014.
  • Rosenberg Nathan, « Natural Resource Limits and the Future of Economic Progress », dans G. Almond et al. (eds), Progress and Its Discontents, Berkeley, Los Angeles, University of California Press, 1982, p. 301- 318.
  • Rouvillois Frédéric, L’Invention du progrès. Aux origines de la pensée totalitaire (1680-1730), Paris, Kimé, 1996.
  • Stiegler Barbara, « Il faut s’adapter » : sur un nouvel impératif politique, Paris, Gallimard, 2019. ---*Taguieff Pierre-André, Du progrès. Biographie d’une utopie moderne, Paris, Librio, 2001.

Documents joints

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