Engagements politiques et Crises

Deuxième numéro

 

La revue Crises et Société ambitionne d’interroger la « crise » au travers de ses différentes acceptions, quelles que soient les disciplines qui s’en saisissent, voire, les spécialités de chaque champ disciplinaire. Aussi, ce deuxième numéro propose d’interroger les liens tissés entre l’ « engagement politique » d’une part et, la « crise » d’autre part. Pour éclairer cette relation, le présent appel expose un argumentaire qui peut être lu comme un guide, ou comme de premiers fondements ici jetés, qu’il conviendrait de surpasser.

Bien souvent, le concept d’engagement politique a été pris sous le prisme d’un engagement partisan ; il apparaîtrait pourtant réducteur de se cantonner à cette considération qui peut, désormais, être ouverte plus largement et viser le rapport qu’entretiennent les individus avec la société.

En effet, réfléchir sur l’engagement politique reviendrait à s’interroger sur le ou la politique. Ce faisant, une myriade de questionnements nous heurte : comment les variations de définition de ce terme influencent-elles la manière d’envisager l’engagement politique ? Celui-ci implique-t-il uniquement le passage à l’acte ? (Perrineau 1994). Ce même engagement est-il nécessairement lié à l’art de conduire les affaires de l’État ? Ne concerne-t-il pas, également, un engagement relatif à la communauté sociale ?

Les crises actuelles, protéiformes, nous semblent redéfinir la notion même d’engagement politique, notamment dans cette distinction entre ce qui relève classiquement de l’ordre public ou de la sphère privée, ou encore, la prise en considération des associations, formidables vectrices et tout à la fois épicentres de l’engagement contemporain (Ion, 1997).

Aussi, le désengagement politique, tant dans les structures partisanes que dans les urnes, ne constituerait-il pas une forme de crise de l’engagement politique ? Aurait-il une influence sur les sociétés politiques mêmes et sur les manières dont elles sont pensées ? Est-il possible d’envisager de faire société sans la participation active des personnes la constituant ? Ces questions sont d’éventuelles pistes de réflexion qu’il conviendra de creuser.

Dans le même temps, la France, comme d’autres pays, est confrontée à un paradoxe : alors que les urnes se vident, l’engagement politique dans des causes, lui, gonfle. Black Lives Mater, Gilets Jaunes, il serait bien trop long de dresser une liste exhaustive de ce phénomène protéiforme. Fruits d’une crise sociale, ces deux mouvements sont également porteurs d’un engagement politique, ou qui penche vers la politisation en bout de course (Célestine et Martin-Breteau, 2016).

Pour y remédier, des instruments connus de longue date sont dépoussiérés et remis sur le devant de la scène : assemblées citoyennes, cahiers de citoyens, ou autres dispositifs de la même veine ne sont pas sans rappeler d’autres mécanismes déjà mobilisés à l’image des cahiers de doléance de la fin du XVIIIe siècle (Serna, 2019).

Mais une question se fait lancinante alors : peut-on réellement considérer sur le même plan l’engagement partisan stricto sensu, et l’engagement partisan lato sensu, qui intégrerait, par exemple, les syndicats, les associations, ou même les mouvements spontanés qui répondent plus d’une organisation horizontale que verticale comme le collectif « Nuits debout » ? Cela ne provoquerait-il pas une crise pour nos démocraties occidentales européennes, que d’accepter de nouvelles formes non conventionnelles de participation à la politique ou au politique ? Trouve-t-on des équivalents dans des sociétés autres, historiquement ou géographiquement ? Nous pouvons nous remémorer cette poignée de Professeurs de droit qui, contre le régime de Vichy, osèrent s’engager politiquement pendant cette crise. Un peu plus tôt encore, les institutions elles-mêmes rejoignaient l’effort commun pour surmonter la redoutable épreuve de la Grande Guerre (Chambost, Garnier, Gottely, 2018).

Voilà d’autres interrogations qui pourront faire l’objet de ce numéro.

Derrière ces interrogations, derrière ces crises et l’acceptation ou non de ces manifestations comme porteuses d’un engagement politique, émerge l’idée selon laquelle ces mouvements pourraient permettre de recréer du lien entre l’individu et la société ; plus largement, comment ces formes nouvelles d’engagement politique amènent-elles à repenser la et le politique en situation de crise ?

Enfin, l’engagement politique pris dans son acceptation large, comme restreinte, dépend-il d’une crise ? Ou bien la crise est-elle initiatrice d’un regain d’engagement ? Locomotive ou wagon, la crise semble bien être un impondérable de l’engagement politique.

Cet appel pose quelques jalons et pistes réflexives, mais les auteurs et autrices doivent se sentir libres de présenter des articles qui déborderaient ce cadre poreux, tant que les perspectives de « crise » et d’ « engagement politique » constituent le cœur du travail de recherche. Dès lors, les contributions proposées pourront envisager la thématique au-delà de cet argumentaire, et arborer une approche multidisciplinaire ou pluridisciplinaire.

Les propositions doivent être envoyées jusqu’au 15 mars à l’adresse direction chez crisesetsociete.com ; elles se composent comme suit : titre, résumé de 500 à 1000 mots, coordonnées et rattachements institutionnels des auteurs et autrices. Les articles retenus à l’issue de notre processus éditorial – description sur le site internet de la revue – feront l’objet d’une publication dans le second numéro.

Bibliographie indicative

BALSIGER Philip, « Chapitre 7 - La consommation engagée », dans Olivier Fillieule, Florence Haegel, Camille Hamidi et Vincent Tiberj (dir.), Sociologie plurielle des comportements politiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2017

BEHRENT Michael, « Renouer avec le populisme. Entretien avec Thomas Frank », Esprit, 10 (2010), p. 122-132

BIARD Michel, BOURDIN Philippe, LEUWERS Hervé et SERNA Pierre , 1792. Entrer en République, Paris, Armand Colin, 2013

BLONDIAUX Loïc et MANIN Bernard, Le tournant délibératif de la démocratie, Paris, Presses de Sciences Po, 2021

CELESTINE Audrey et MARTIN-BRETEAU Nicolas, « « Un mouvement, pas un moment » : Black Lives Matter et la reconfiguration des luttes minoritaires à l’ère Obama », Politique américaine, 2 (2016), vol. 28, p. 15-39

CHAMBOST Anne-Sophie, GARNIER Florent et GOTTELY Alexandra (commissaires), Des facultés sur le front du droit [en ligne], Bibliothèque Cujas, Exposition virtuelle labellisée par la Mission Centenaire 14/18, 2018 [consulté le 8 janvier 2022]. URL : http://expo-grande-guerre-biu-cujas.univ-paris1.fr

CREPON Marc, « De la démocratie participative, à la croisée des chemins », Pouvoirs, 4 (2020), vol. 175, p. 31-42

DELUERMOZ Quentin et GOBILLE Boris (dir.), « Protagonisme et crises politiques », Politix, 4 (2015), vol. 112

FILLIEULE Olivier, « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel », Revue française de Science politique, 1-2 (2001), vol. 51, p. 199-215

HAYES Ingrid et DELLA SUDDA Magali (dir.), « L’engagement des femmes des classes populaires en France depuis 1945 », Le Mouvement social, 4 (2018), vol. 265

ION Jacques, La fin des Militants ?, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997

LEFEBVRE Rémi (dir.), « Continuité et discontinuités dans le militantisme », Politix, 2 (2013), vol. 102

MUXEL Anne, « L’engagement politique dans la chaîne des générations », Revue Projet, 3 (2010), vol. 316, p. 60-68

PAGIS Julie, Mai 68, un pavé dans leur histoire, Paris, Presses de Sciences Po, 2014

PERRINEAU Pascal, L’engagement politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1994

PERRINEAU Pascal, Atlas électoral 2007. Qui vote quoi, où et comment ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2007

SAINT-BONNET François, « La démocratie participative au prisme de l’histoire », Pouvoirs, 4 (2020), vol. 175, p. 5-15

SERNA Pierre, Que demande le peuple ? Les cahiers de doléances de 1789, manuscrits inédits, Les Éditions Textuel, 2019

TALPIN Julien, « L’actualité de la question noire aux États-Unis. Du community organizing à Black Lives Matter », Esprit, 2 (2017), p. 121-131

TAVOILLOT Pierre-Henri, « Contre la démocratie participative », Pouvoirs, 4 (2020), vol. 175, p. 43-55

TIBERJ Vincent, Les citoyens qui viennent. Comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France, Paris, PUF, 2017

Documents joints

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