Dans un contexte de changement climatique, l’ensemble des individus sont mobilisés afin de proposer des options d’adaptation et d’atténuation. Apparaissent entre autres des réglementations de plus en plus strictes sur les ouvrages de construction, de rénovation et de l’aménagement de l’espace en général. C’est ainsi que l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN) est intégré dans les documents législatifs et réglementaires, projetant une action à long terme. Les aménageurs, et plus largement l’ensemble des acteurs de la ville, doivent donc se mobiliser afin d’intervenir pour respecter cet objectif qui s’impose uniformément à l’échelle nationale, qu’il s’agisse de territoires urbains ou ruraux.
Aujourd’hui, la ville, et plus largement l’espace urbain, connaît un tournant dans la réglementation de ses sols notamment au regard des dynamiques prônant un équilibre écologique et une gestion urbaine environnementalement plus économe. En effet,« la gestion durable des terres peut contribuer à réduire les impacts négatifs de multiples facteurs de stress, y compris le changement climatique, sur les écosystèmes et les sociétés » [1]. Quelques chiffres clés nous permettent de comprendre les débats actuels, et un parallèle évident entre la protection de l’environnement et l’aménagement de la ville et des territoires. En effet, durant les 10 dernières années, entre 20 000 et 30 000 hectares d’espaces ont été artificialisés en France. Aussi, la moitié des arbres ont été détruits en six millénaires ou encore la moitié des mammifères sauvages ont disparu en moins de deux siècles, sans compter l’extinction d’un quart des oiseaux, des deux tiers des vertébrés et de la moitié des insectes en quarante ans en Europe. À l’échelle mondiale, près de 60% des écosystèmes sont altérés [2].
Urbain et campagne : une dichotomie tendant à s’effacer face à l’émergence de la périurbanisation.
Comprendre l’objectif ZAN et ses objectifs, c’est analyser les directives d’aménagement des dernières années, qui ont mené à se poser la question de la durabilité du modèle développé jusqu’à maintenant. La répartition de la population s’est distribuée autour d’une grande alternative : ruralité ou urbanité [3]. Appréhendées dans cette perspective, la campagne et la ville sont marquées par des caractères et processus qui leurs sont propres en termes de rapport à l’espace, de fonctions ou encore de qualités recherchées. La ville, elle, est marquée par une concentration d’individus, de bâtiments, de richesses et d’activités (échange, commerce, pouvoir), permettant la proximité et l’accessibilité de ses différentes composantes entre elles. La ville se compose d’une pluralité de secteurs : socio-démographique, environnemental, économique ou encore urbain, qui influent les uns sur les autres. J. Lévy résume la ville à « un maximum de diversité dans un minimum d’étendue » [4]. Une idée dominante revient souvent : la campagne est sous dépendance de la ville. Ainsi, il conviendrait d’analyser la ville et la campagne en termes de centre et de périphérie, ces deux derniers étant en interaction. Selon Alain Reynaud, « le centre n’est le centre que parce qu’il y a une périphérie et par rapport à la périphérie » [5]. En ce sens, la ville est un espace de densité et de diversité maximale, et ainsi, il s’agit du lieu où l’urbanité est la plus intense. Les autres espaces eux se déclinent selon un degré d’urbanité plus faible, jusqu’à trouver des situations hypo-urbaines ou infra-urbaines, où la densité et la diversité s’avèrent quasiment nulles. De manière caricaturale, l’objectif ZAN répond au résumé de J. Lévy. En effet, cet objectif vise à limiter l’étendue de l’urbanisation pour concentrer la diversité et mutualiser les fonctions dans un même espace. Toutefois, l’objectif ZAN ne se résume pas à la limitation de l’étalement urbain. En effet, ce dernier peut constituer un facteur de développement en incluant la désartificialisation d’une partie des espaces centraux afin de respecter l’objectif.
Partout, les sociétés et les territoires se sont construits autour de cette dichotomie, ville-campagne, dont la limite se complexifie de plus en plus. Les villes concentrent une part croissante des populations et s’étendent, par des processus d’urbanisation qui augmentent relativement la consommation d’espace (par habitant ou par logement) [6]. L’extension spatiale, géométrique des villes et des banlieues vers leurs périphéries est désignée par le terme de périurbanisation. Les territoires périurbains sont alors considérés comme la résultante de cet étalement urbain [7]. Ce terme est né dans les années 1940 afin de désigner des espaces d’interpénétration de la ville et de la campagne. Aujourd’hui, comme le souligne Jean-Yves Chapuis, il n’y a plus de dichotomie entre l’urbain et le rural, il faut penser la campagne comme n’étant pas un vide mais un plein. Ainsi, selon E. Charmes, la périurbanisation est induite par l’émiettement de la ville, induisant un émiettement politique, social et paysager [8]. La campagne est marquée par la dispersion des individus. Elle est souvent assignée à une fonction de production dans les imaginaires en raison des larges surfaces disponibles qu’elle offre. Outre, les services écosystémiques et les fonctions de subsistance qu’apporte la terre, il s’agit également d’une large réserve foncière mobilisée pour répondre à l’accueil et aux besoins des nouveaux habitants. Or, la croissance démographique et la consommation des terres agricoles sont étroitement liées. « Les données disponibles depuis 1961 montrent que la croissance démographique mondiale et les changements dans la consommation par habitant de denrées alimentaires, d’aliments pour animaux, de fibres de bois et d’énergie ont entraîné des taux sans précédent d’utilisation des terres et de l’eau douce[...] » [9]. Ainsi, l’objectif ZAN limite directement les opérations en extensions urbaines qui ne s’imposent plus désormais comme la norme. L’ouverture de zones agricoles ou naturelles à l’urbanisation ne sera plus possible à l’horizon 2050. Or de la période pré-industrielle à nos jours, les changements d’utilisation des terres, menant souvent à leur artificialisation étaient possibles. Désormais il s’agira de composer avec l’existant en conciliant les nouveaux besoins avec les fonctions déjà affectées à certains espaces. Aujourd’hui, l’objectif ZAN impose de défaire les références de l’extension urbaine, processus principalement utilisé dans les villes afin de développer leur tissu urbain. « Décennie après décennie, l’étalement urbain se poursuit. Chaque nouvel habitant, dans un territoire donné, consomme davantage d’espace que ses prédécesseurs » [10]. Le sol est une ressource limitée et de plus en plus rare en raison de la diversification et de la multiplicité des usages. Afin de ne pas atteindre un seuil d’irréversibilité le mot d’ordre est désormais la lutte contre l’étalement urbain et donc nécessairement la réduction de la consommation d’espace plus communément dénommée sous l’objectif ZAN. Ce dernier peut apparaître simpliste mais recouvre une mise en œuvre opérationnelle complexe, impliquant de recourir au processus de réhabilitation, de densification ou encore de reconversion des friches notamment industrielles, afin de permettre une gestion économe de l’espace et atteindre une situation de sobriété foncière.
Le contexte d’étalement urbain pose alors la question de la conservation et de la préservation du foncier agricole. Suite à cette prise de conscience, l’idée est de contenir l’expansion de la ville. L’objectif ZAN vise donc à préserver la terre qui « constitue la base principale des moyens de subsistance et du bien-être de l’homme y compris l’approvisionnement en nourriture, en eau douce et en de multiples autres services écosystémiques, ainsi que, la biodiversité » [11]. L’objectif ZAN apparaît alors comme un cadre contraignant concernant l’utilisation des terres et leur gestion durable en lien avec l’adaptation aux changements climatiques et l’atténuation de leurs effets tels que la désertification, la dégradation des terres et la sécurité alimentaire [12]. Ici, ce contexte invite à repenser cette scission entre ville et campagne, cette dernière étant désormais composée d’espaces à dominante urbaine marqués par la périurbanisation. Les critères de définition initiaux attribués à la campagne ne semblent plus appropriés du fait, qu’aujourd’hui, elle tend à se confondre avec laville. Les habitants sont minoritairement des agriculteurs à mesure que les fonctions résidentielles, industrielles et de loisirs s’y affirment. L’oxymore « campagne urbaine » permettant de mettre en avant cette mutation territoriale majeure. L’objectif ZAN s’impose alors à tous les territoires de manière homogène, oubliant la frontière entre ville et campagne largement déconsidérée aujourd’hui.
Le foncier est le support sur lequel se traduit les dynamiques territoriales, et a longtemps été considéré comme au service du développement. Face à la montée en puissance des préoccupations environnementales, la maîtrise du foncier est devenue un enjeu majeur pour les acteurs du territoire. En effet, avec l’avènement de l’objectif ZAN, « le système foncier peut devenir un élément déterminant des dynamiques territoriales, agissant selon les cas comme facteur de blocage ou de développement » [13].
Le ZAN, en réponse à la crise environnementale.
Partant du constat de l’étalement urbain, et de la prise de conscience de la non-durabilité du modèle urbain, l’objectif ZAN invite à poursuivre le questionnement sur les rapports entre urbain et rural. L’instruction de cet objectif a été évoquée au sein duPlan biodiversitéde 2018, qui vise à inciter la réduction de l’artificialisation des espaces naturels et agricoles, permettant de concilier la préservation de la biodiversité et le développement économique pour « réduire à zéro la perte nette de biodiversité » [14]. Ainsi, cet objectif, a été introduit par la loi Climat et Résilience [15]du 22 août 2021, qui a défini l’objectif ZAN comme un levier opérationnel institutionnel et chiffré. Deux grandes échéances ont été fixées afin d’atteindre cet objectif : la réduction par deux du rythme de consommation des sols (perte d’espaces naturels) d’ici 2031 par rapport à la période 2011-2021, et l’objectif ZAN en 2050.Ce dernier vise donc à contenir l’expansion de la ville,remettant en cause le fonctionnement de celle-ci. L’objectif ZAN induit alors un renforcement du processus de densification des espaces urbains, et une renaturation des espaces artificialisés, par une neutralité visée. Cela invite les aménageurs, et l’ensemble des acteurs participants à construire et encadrer l’évolution de la ville (urbanistes, architectes, techniciens, etc.) à repenser les modèles. Ainsi, deux définitions permettent de comprendre l’objectif ZAN en tant qu’entité coordonnée : l’artificialisation et la renaturation.
Le modèle de développement et d’extension de la ville, créant par conséquent les zones périurbaines, a récemment été remis en question et ce notamment au regard des problématiques environnementales et sociales.Selon la loi Climat et Résilience « L’artificialisation nette des sols est définie comme le solde de l’artificialisation et de la renaturation des sols constatée sur un périmètre et sur une période donnée »L’artificialisation ne désigne pas uniquement un processus de construction d’un bâti sur un terrain vierge perméable. Ce processus définit plus largement un changement d’usage du sol entraînant une perte, au moins en partie, de ses qualités naturelles et écologiques (porosité, diversité biologique, niche écologique, ressource alimentaire). L’artificialisation des espaces est définie dans le code de l’urbanisme comme étant « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage » [16]. Ainsi, tout ce qui n’est pas naturel, agricole ou forestier est considéré comme artificialisé. En ce sens, certains espaces présentant tout de même un certain degré de perméabilité, tels qu’un jardin ou un terrain de golf, seront considérés comme artificialisés. Aussi certaines terres agricoles devenues peu fertiles, en raison de l’utilisation d’intrants, et moins perméables, en raison des techniques de labour, seront considérées comme non-artificialisées.
La renaturation est nouvellement définie au sein de l’aménagement, en tant qu’action donnant acte de restitution ou d’amélioration des fonctions des sols, et ce dans un but de désartificialisation de ceux-ci.« La renaturation d’un sol, ou désartificialisation, consiste en des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé » [17]. Ainsi, l’intention première de préservation et de rafraîchissement de la ville et des espaces bétonnés est une avancée majeure. L’objectif ZAN a alors pour principe de trouver un équilibre entre espaces artificialisés et espaces rendus à la nature.
Aujourd’hui, l’objectif ZAN s’applique uniformément à l’échelle nationale. Les seuils fixés par commune sont calculés de façon à diminuer de 50% le rythme de l’artificialisation et de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2031 par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2021. Ainsi, la mesure de l’artificialisation des sols est différente d’un recensement communal à un autre, au regard de l’immédiateté des échéances imposées et en raison de l’absence d’un recensement de l’artificialisation des sols égalitaire sur l’ensemble du territoire. En effet, les bases de données de références telles que Corine Land Cover, Teruti-Lucas et les fichiers fonciers n’ont pas les mêmes moyens de recensement. Ces différences sont liées aux variables retenues dans le calcul des superficies artificialisées. Les nomenclatures et échelles de résolution ne prennent pas en compte les mêmes typologies de terrains, par exemple les jardins privés sont parfois classifiés en tant que terres artificialisées alors que ce sont des espaces perméables qui rendent des services écosystémiques. C’est pourquoi l’artificialisation et l’imperméabilisation sont des notions liées mais distinctes. Les bases de données révèlent également des failles dans leur inventaire. En effet, de nombreux éléments, participant à l’artificialisation, ne sont pas recensés tels que les bâtiments agricoles, une grande partie des énergies renouvelables ou encore certaines lignes LGV ou autoroutes. Ainsi, les objectifs chiffrés de consommation de l’espace imposés ne peuvent être calculés de manière uniforme pour l’ensemble des territoires. Cependant, une base de données de référence devrait être en fonctionnement d’ici 2024, OCS GE, mise en œuvre par l’IGN. Ce référentiel a pour objectif de couvrir l’ensemble du territoire national (métropolitain, départements et DROM) et de référencer l’occupation des sols au regard de cet objectif ZAN. Celui-ci pourra être affiné selon les couches, les thématiques et les particularités locales [18]. En 2019, la base de données couvre 25% de la France et depuis fin 2022 près de 40% du territoire national est couvert.
La ville est un objet social qui doit être défini de façon quantitative mais également dans une approche qualitative. Il convient ainsi de requalifier la ville en tant qu’espace géographique social, et non en tant que production quantitative qui répond à tous les enjeux urbains. « L’impasse intellectuelle se renforce lorsque le quantitatif s’invite : 25% de logements sociaux, 15% de part modale du vélo, zéro artificialisation, etc. L’indicateur devient un objectif. Le chiffre masque la question, évite la problématique » [19]. C’est ainsi qu’on comprend la limite de la réglementation qui fixe des pourcentages à respecter en tant qu’indicateur d’une bonne gestion sociale, multimodale ou encore environnementale des territoires.
L’imposante intégration de chiffres et d’indicateurs, correspondant à des seuils imposés par les pouvoirs publics, laissent finalement peu de place à l’interprétation qu’en lit chaque acteur de la ville. En effet, les comportements des acteurs, qu’ils soient politiques ou techniciens, sont stratégiques dans le développement de chaque commune. Ces comportements vont découler d’une compréhension systémique entre le chiffre, les besoins et sa correspondance matérielle (logements, parcelles etc). Il est donc de ce fait plus facile de comprendre un objectif chiffré plutôt qu’un objectif décrit par sa qualité. Mais paradoxalement, il n’est pas forcément plus facile d’y répondre et permet également d’assurer une certaine valeur à la finalité. En s’appuyant sur les arguments mis en avant, par Olivier Martin dans son ouvrage L’empire des chiffres [20], Béatrice Touchelay affirme que, « même omnipotents, les chiffres sont critiqués, ils sont puissants et fragiles à la fois, et c’est là leur paradoxe. « Objets agissants »ils peuvent être déformés et manipulés. Ils suscitent des passions et des controverses, de« vrais »chiffres sont opposés aux« faux »chiffres, sans que les critères de leur« vérité »soient explicités » [21].
Cependant, chiffrer contraint la prise en compte d’autres variables, notamment qualitatives, telle que l’histoire de la commune, sa place au sein du territoire, ses potentiels économiques et démographiques. L’aspect quantitatif bien qu’essentiel notamment au regard de ses possibilités de comparaison, ne doit pas être le motif de sélection sans contextualiser les problèmes. Et cela permet de démontrer la nécessité de créer un urbanisme sur-mesure. « au-delà des problèmes de définition et de mesure, le fait même que l’artificialisation puisse être un problème quantitatif plutôt que qualitatif suscite des débats et témoigne de notre méconnaissance de ce qui se passe sur notre territoire et notre incapacité à (se) représenter l’état réel de nos sols ! » [22].
Dans le contexte de crise environnementale, la réflexion engagée vise à comprendre les enjeux induits par l’objectif ZAN qui s’imposent aux acteurs des territoires à l’échelle locale. La réflexion proposée repose sur des recherches scientifiques pluridisciplinaires et des rencontres avec des professionnels. Elle a été conçue à partir de recherches universitaires et scientifiques en lien avec ce sujet mais aussi grâce à l’observation des acteurs (élus, responsables planification, professionnels de l’urbanisme) œuvrant au sein de la planification, de l’aménagement et de l’urbanisme, à l’échelle de la ville mais aussi de la métropole de Rennes.
La présente réflexion a pour objet d’introduire le contexte qui a mené à la concrétisation de la loi Climat et Résilience, et plus précisément à l’introduction de l’objectif ZAN. Aussi, l’objet est de tenter de mettre en perspective l’appréhension de l’objectif ZAN par les autorités en charge de la mise en œuvre de cette politique, notamment au regard du respect des échéances fixées. Aussi, la traduction législative de ces grands principes de gestion du territoire permet de questionner les approches privilégiées depuis plusieurs années, au regard des problématiques territoriales.
Il s’agit alors d’aborder la question de l’objectif ZAN en rappelant le lien entre problématique du développement territorial et crise environnementale. Puis, de comprendre l’importance de l’assimilation collective de l’objectif ZAN, qui pose une grande variété d’interprétations opérationnelles en fonction des profils de chaque territoire et de chacun des acteurs.
Le ZAN permet de faire réfléchir les acteurs du territoire, en les obligeant à prendre conscience des enjeux actuels et en les invitant à mettre en place des actions concrètes et radicales. Seulement, le progrès réside dans sa prise de conscience et non dans sa mise en œuvre. Cette réglementation est une idéologie applicable dans certaines mesures et dans certains territoires, mais oblige à des réponses inadaptées et partielles.
Dans un premier temps, nous montrerons que l’objectif ZAN est un progrès institutionnel à l’échelle nationale tentant d’impulser en partie une réponse à la crise environnementale et celles sous-jacentes. En découle, son application locale qui apparaît ambiguë. Les acteurs de chaque territoire sont donc, dans un second temps, amenés à repenser les espaces urbains tant les formes bâties que les réseaux viaires, permettant une potentielle concrétisation spatiale de l’objectif ZAN.
I- Un objectif national à l’application ambigüe selon les contextes locaux
A- L’objectif ZAN, un progrès visant à résoudre en partie la crise environnementale
Le contexte de crise environnementale, comme expliqué précédemment, invite les pouvoirs publics à introduire des objectifs à l’échelle des espaces urbains afin de préserver la nature des sols. Ainsi, selon Karl E. Weick, une situation de crise se caractérise par une perte de repères [23]. Dans ces circonstances l’adaptation des acteurs est nécessaire et révèle leur capacité de résilience.
La ville est un système en équilibre dynamique, composé d’une pluralité de secteurs, socio-démographique, environnemental, économique, urbain, en interrelation qui influent les uns sur les autres. Lorsqu’une crise affecte un de ces domaines, elle fait naître une rupture de stabilité sur l’ensemble du système, et entraîne la remise en cause de son fonctionnement. La désectorisation entre les différentes dimensions de la ville entraîne la nécessité de ne plus penser les stratégies d’aménagement de manière isolée afin d’arriver à des négociations. L’enjeu est de concilier l’ensemble de ces domaines, afin de permettre à la ville de trouver un équilibre dynamique. La crise se manifeste alors par une dégradation soudaine d’un équilibre en fonction de l’évolution de la ville.
L’objectif ZAN apparaît alors comme un élément de réponse à la crise environnementale, mais cet objectif peut être également un catalyseur de diverses crises, et notamment la crise du foncier. Cela s’explique par l’interdépendance des crises. Ainsi, ce qui s’apparente à la gestion de ces dernières est en réalité un essai de minimisation de leurs effets futurs en tentant de rétablir un ordre. Dans ces conditions, l’objectif ZAN est une réponse à la crise environnementale en constituant une anticipation aux dégradations des fonctions écologiques des sols. « A l’échelle mondiale, seulement 25% de la surface terrestre est proche de son état naturel. D’ici à 2050, cette proportion sera de l’ordre de 10% si nous ne changeons pas notre approche » (Ibrahim Thiaw, ONU) [24].
Le progrès est le produit de l’Homme en tant qu’il est la concrétisation objective de l’activité humaine [25]. Le progrès est perçu par les individus comme un moyen pour atteindre une situation considérée comme étant plus favorable que la situation initiale. Le progrès est alors associé à une évolution positive. Les individus le perçoivent comme un moyen d’atteindre une situation considérée plus favorable que la situation initiale. Dans ce sens, l’objectif ZAN est présenté comme un objectif permettant de répondre à un problème : l’artificialisation des sols. Ce dernier est, à ce jour, défini selon le décret n° 2022-763 du 29 avril 2022 relatif à la nomenclature de l’artificialisation des sols pour la fixation et le suivi des objectifs dans les documents de planification et d’urbanisme :« Lorsque l’on construit une maison ou une route, le sol change d’utilisation et perd une partie ou moins de ses qualités naturelles initiales : porosité, diversité biologique. On désigne par sols artificialisés tout ce qui n’est pas naturel, agricole, ni forestier. Un golf ou un jardin sont considérés ainsi. Un champ sera en revanche qualifié de sol non artificialisé, même si les techniques de labour l’ont rendu peu perméable,et les modes de cultures, peu biodiversifié » [26]. Il s’inscrit donc à la jonction d’un écosystème dynamique où crises et progrès sont en interrelation.
L’étalement urbain est lié à l’artificialisation des sols sans en être synonyme. Cependant, le progrès est un état temporellement limité puisqu’il finit par atteindre son optimum d’efficacité. Il se met à stagner, alors deux options apparaissent : soit l’humanité cherche une option alternative et met en place une nouvelle forme de progrès s’inscrivant dans une logique de croissance exponentielle ; soit, le progrès en tant que processus qui s’auto alimente, « crée de lui-même des inconvénients, des désagréments ou encore des dommages » [27]. Un déclin progressif a alors lieu pouvant entraîner une crise, et un cercle rétroactif se crée entre la crise et le progrès. Ainsi, le progrès est défini par le processus et par son état final.
La crise de l’étalement urbain a amené à devoir contraindre le droit des sols pour le préserver. Dans ce contexte, l’objectif ZAN apparaît comme un progrès afin d’encadrer l’utilisation des sols, s’inscrivant alors comme un élément de réponse majeur à cette crise. L’objectif ZAN est actuellement omniprésent dans les politiques urbaines. Pour autant, les éléments de caractérisation de cet objectif apparaissent flous pour les acteurs de l’aménagement et de l’urbanisme, en charge de l’opérationnalisation. En effet, les acteurs de l’aménagement sont dépourvus d’outils opérationnels pour atteindre cet objectif.
Ici, le progrès ne se mesure pas en rendant la ville extensible mais au contraire en la renouvelant sur elle-même. Dans une démarche prospective, l’application opérationnelle de cet objectif est susceptible d’alimenter les crises actuelles. L’objectif ZAN est-il réellement une réponse immédiate aux problématiques territoriales ou s’agit-il plus d’une idéologie destinée à repenser les normes actuelles de l’urbanisme ? La loi Climat et Résilience apparaît alors comme le point de départ d’un tournant idéologique de la vision future des territoires, permettant de passer du débat à l’action.
B- Des conflits territoriaux : éviter une crise identitaire
L’objectif ZAN pose des échéances très précises sur les potentiels d’artificialisation des terres d’ici 2050. Ici, nous nous interrogeons sur l’approche quantitative de la loi. Actuellement, l’approche quantitative de cet objectif amène à adopter une démarche uniforme vis-à-vis de l’ensemble des territoires, considérant la France métropolitaine en tant qu’entité égalitaire. Ce recours aux quantifications (chiffrage des surfaces artificialisées), crée des inégalités entre les territoires, notamment en ignorant les caractéristiques des politiques publiques antérieures de chaque commune. Ainsi, dans sa conséquence normative les conditions de l’objectif ZAN s’appliqueront uniformément à l’ensemble des communes. L’égalité entre les citoyens doit en partie être assurée par l’équité entre les territoires. Or, l’utilisation des terres ne peut pas être soumise à un jugement catégorique et égalitaire au regard des différences entre les territoires. Selon Olivier Razemon, « les territoires ne peuvent être, en tant que tels “égaux”. La géographie physique, le relief, la proximité d’une forêt ou d’un cours d’eau, l’ensoleillement d’une région ne sont évidemment pas identiques. Pas davantage que la taille des villes, leurs histoires, leurs principales activités économiques ou les prix de l’immobilier [...] » [28].
Or, l’objectif ZAN ne peut s’appliquer de la même manière à l’ensemble de ces territoires. En effet, les territoires plus ou moins fortement urbanisés, ruraux ou métropolitains ne sont pas égaux, au regard notamment de leurs enjeux et de leurs leviers de développement. L’objectif de territorialisation applicable avec le même ratio sur tous les territoires provoque également des conflits d’intérêts. Par exemple, la Nouvelle Aquitaine devrait selon les chiffres, présenter un effort de réduction d’artificialisation plus conséquent. En effet, « la Nouvelle-Aquitaine, qui voit de son enveloppe absorbée par les grands projets, avec la ligne TGV Bordeaux-Toulouse, […],elle doit en outre faire face en même temps à l’érosion de son trait de côte » [29]. Cette idée nous amène à repenser l’importance d’animer de façon conjointe les différentes problématiques et d’intégrer les projets et objectifs visés en amont. Également, certains territoires ont déjà tendance à limiter les projets d’aménagement, comme à Rennes [30], en extension urbaine, jugés trop consommateurs de foncier, depuis plusieurs années déjà. D’autant plus qu’il convient de prendre en compte la différence de consommation des espaces agricoles et naturels entre les pôles urbains de même typologie. La réduction de 50% de l’artificialisation nette des terres à l’horizon 2030, pour atteindre l’objectif ZAN à l’horizon 2050, s’inscrirait alors plus dans une logique de publicité algorithmique, ne correspondant pas aux réalités des différents territoires.
La France, composée de 39 945 communes au 1er janvier 2023, a ainsi prouvé sa diversité. « les ambiguïtés qui accompagnent la mise en œuvre du ZAN tendent à le réduire à une mesure sans doctrine, imposée par l’État sans véritable étude d’impact et appliquée de façon arithmétique et indifférenciée, qui oppose, de façon frontale et binaire, métropoles denses et périurbaines distendues » [31]. Ainsi, les besoins et perspectives d’évolution des territoires sont hétérogènes, l’appréhension quantitative rend donc obsolète la réalité sociale de ceux-ci. Il faudrait donc partir du contexte singulier et des réalités différentes de chaque commune pour adopter des modalités différenciées d’application de l’objectif ZAN. Plus largement, il conviendrait de rompre avec une approche uniforme descendante afin de comprendre les caractéristiques des territoires et viser une approche plus ascendante.
L’approche quantitative permet en outre de comparer les territoires de même équivalence démographique et la mise en place de références et bases de données nationales. C’est ainsi que la logique ascendante prend forme, en admettant la diversité des contextes locaux et le développement de solutions innovantes afin de respecter les objectifs ZAN. Les solutions n’étant pas encore prédéfinies aujourd’hui, les innovations territoriales pourront devenir des exemples à déployer sur l’ensemble du territoire national.
C-Une rétroaction entre la crise environnementale et la crise du logement ?
Le solde naturel parfois combiné à l’attractivité territoriale d’une commune participent nécessairement à sa croissance démographique. Cette dernière l’oblige alors à s’étendre pour accueillir ces populations. L’extension urbaine avec les formes spatiales et architecturales qui l’accompagnent ont amené à une aggravation de l’état des sols et ont contribué à la situation de crise environnementale actuelle. Un cercle vicieux se construit entre le besoin en logement et la crise de l’environnement. L’imperméabilisation et de l’artificialisation des sols, accusant alors l’étalement urbain d’être à l’origine d’une crise de mitage des terres agricoles, forestières et naturelles. Il souhaite une préservation de celles-ci dans une perspective de services écosystémiques rendus. Ce cercle est donc complété par le manifeste pour le logement appelé à répondre aux besoins des ménages, tout en respectant l’un des aspects fondamentaux du droit, celui de la dignité humaine. L’étalement urbain peut donc, dans le premier cas, être perçu comme une crise et dans le second cas comme un progrès. L’étalement urbain est donc, dans le cas du manifeste de l’environnement perçu comme vecteur d’une crise tandis que, dans le cas du manifeste du logement, ce processus urbain a donné lieu à un progrès permettant de répondre à un contexte de crise, notamment celui du besoin de logements. Néanmoins, cela reste une approche binaire et catégorique, des réalités territoriales et sociétales devant êtreprises en compte. L’objectif ZAN est alors apparu comme une opportunité majeure afin d’impulser une réponse concrète à la crise environnementale à l’échelle urbaine. Mais il traduit la prise de conscience de la perte d’équilibre dans les mécanismes de production de l’urbain tout en renforçant la complexité à concilier divers enjeux, comme ceux de l’environnement et du logement cités ci-dessus. La loi Climat et Résilience induit alors un changement profond face à la dégradation d’une situation de référence qui ne peut rester la norme.
D’un point de vue technique, l’objectif ZAN n’est pas un progrès car il n’apporte aucune réponse opérationnelle à la crise. La politique de cadrage est définie à l’échelle nationale. Pour autant, les organisations qui ont la responsabilité de l’application opérationnelle de cet objectif sont les communes et les EPCI. Il s’impose donc à elles, les obligeant à repenser les mécanismes de production de la ville. La phase initiale d’application de cet objectif démontre déjà la nécessité de sortir de la démarche descendante et de dépasser l’appréhension majoritairement quantitative afin de l’associer à une dimension qualitative. Cependant, il s’agit d’un réel progrès idéologique visant à redéfinir les prédispositions à faire la ville fragilisant alors les institutions existantes pour concrétiser ce nouvel objectif.
Le progrès réside dans la qualité technique et dans la conception générale de l’espace, celui-ci comprend nécessairement la prise en compte globale de tous les facteurs, permettant d’inventer des formes urbaines personnalisées. Les besoins d’un territoire ne se limitent donc pas à des quantités et une accumulation de services à proposer à la population, mais également à une compréhension du cadre de vie. Cependant, le progrès ne va-t-il pas bénéficier à une partie de la population tout en fragilisant et excluant une autre partie ? C’est cette défaillance du progrès qui peut donner lieu à un contexte de crise.
II- Les formes urbaines à l’ère du ZAN : un foncier en tension
A- Une invitation à repenser les modèles d’urbanisme
L’artificialisation des sols renvoie directement à l’image de la perte des terres agricoles. Ainsi, par déduction, l’urbanisme serait la conséquence directe d’une perte de surface d’espaces agricoles, donc dit non-artificialisés au titre de la loi. L’idée émise est telle que toutes ces terres seraient identiques en termes de qualité agronomique et de services rendus à la nature, et ainsi, qu’elles auraient le même potentiel de production. Cependant, en s’intéressant plus précisément à la nature des sols et aux potentiels produits, des études précises montrent que ce n’est pas le cas. Les sols rendent des services écosystémiques mais l’artificialisation croissante met en péril l’état de ceux-ci. Cette dégradation s’apparente à une crise, mettant en tension d’une part la conservation des sols naturels, agricoles et forestiers au vu de leurs propriétés et d’autre part le besoin de recourir à ceux-ci afin de répondre aux besoins sociétaux. Ainsi, l’objectif ZAN met en exergue la crise environnementale déjà à l’œuvre, mais aussi la crise foncière plus précisément celle de la destination d’usage des terres agricoles.
L’atteinte de l’objectif ZAN induit automatiquement la question de cette crise dans la réflexion des acteurs. Elle interroge sur l’arbitrage de cet objectif. Pour comprendre cela il est nécessaire de questionner la propriété des sols, plus précisément du foncier. Selon l’article 544 du Code civil « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » [32]. L’article 552, du même code, précise « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous » [33]. En France, la propriété individuelle des particuliers est sacralisée et s’élève au rang des droits de l’Homme, du fait qu’elle est un signe de réussite sociale. Elle prend ses racines dans la théorie du domaine du Moyen-âge. Puis, elle sera inscrite dans la taxonomie des droits destinés aux citoyens suite à la Révolution française, en l’associant à d’autres droits de l’homme. Cela est illustré par l’article 2, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Complété par l’article 17 de cette même déclaration : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Le régime juridique du Code civil obéit à cette logique. Dans cette continuité, le Code civil va lier le droit de propriété au droit des contrats. « Le contrat est, en effet, en général, un instrument de la propriété. C’est par le truchement du contrat que l’on use du droit de propriété par la vente, la location ou la succession. Le droit des contrats dérivé du droit de propriété œuvre en faveur des propriétaires en offrant une théorie générale fondée sur la reconnaissance de certains droits naturels » [34]. Ainsi, il s’agit d’un véritable droit mais dont la relativité peut être questionnée. La fonction sociale et les valeurs associées à la propriété individuelle régissent la protection de cette dernière.
En parallèle, les collectivités territoriales possèdent une partie du foncier, elles sont donc aussi propriétaires. Naissent alors des conflits liés à des intérêts divergents entre les communes et les particuliers, tous deux potentiels propriétaires fonciers. Ainsi, l’application de l’objectif ZAN réinterroge les systèmes d’intervention sur les sols et s’impose alors à toutes les collectivités peu importe leur taille. C’est en ce sens, que la réflexion peut se porter sur la considération du foncier comme un bien commun, porté par des Organismes de Foncier Solidaire (OFS), le recours à celui-ci ne permettra-t-il pas de faciliter l’application de l’objectif ZAN ?
Le foncier est une condition essentielle au développement des projets d’aménagement et d’urbanisme pour les communes. Pour autant, l’analyse du foncier dans les centres bourgs fait émerger l’idée que la quantité de foncier mobilisable est suffisante et donc qu’il n’est pas nécessaire de recourir aux sols agricoles. En effet, les sols urbains, relatifs aux espaces urbanisés, sont des ressources foncières mobilisables pour faire face à l’étalement urbain dans une perspective de refaire la ville sur elle-même. Aujourd’hui, les collectivités soulignent la nécessité d’une abondance de foncier, urbain et agricole, pour pouvoir se développer. Or, l’enjeu est de mobiliser les micro-fonciers qui ne sont pas exploités en cœur de ville, le foncier invisible étant à prendre en compte dans la réflexion. Il s’agit alors de miniaturiser l’urbanisme comme cela a été fait pour de nombreux autres domaines tels que l’entreprenariat ou encore l’économie [35]. Il convient alors d’adopter une nouvelle méthodologie afin de partir du projet de territoire et non d’une approche normative.
A l’échelle locale, l’objectif ZAN signifie que plus aucune zone ne sera ouverte à l’urbanisation à l’avenir. Ainsi, seules les zones déjà classées « À Urbaniser » (AU) pourront accueillir de nouvelles constructions. Ces zones sont souvent situées à proximité immédiate du tissu urbain existant et/ou en centre-bourg. Selon les projections démographiques, les besoins en logements dans les prochaines années seront d’autant plus importants. Face au besoin croissant en logement, et par conséquent à l’augmentation de la demande, l’offre doit être développée. Cependant, dans ce contexte de pression foncière, cela implique nécessairement de repenser les modèles d’urbanisme développés jusqu’à présent.
B- La densification, une traduction spatiale induite par l’objectif ZAN
La diminution des surfaces foncières disponibles pour le développement associée au maintien voire à l’augmentation des besoins en logements impliquent donc d’augmenter le nombre de logements à l’hectare, soit la densité. La densification apparaît alors être une réponse spatiale concrète afin de concilier ces éléments de contexte qui peuvent apparaître opposés.
Compte tenu du contexte environnemental actuel de nouveaux concepts urbains se développent traduisant la capacité des métropoles à se renouveler. Le projet de métropole s’ouvre donc à la dimension durable. Le modèle de la ville archipel, conceptualisé par Jean-Yves Chapuis, est singulier de la métropole rennaise. Il s’agit d’un concept d’aménagement rennais qui a été créé pour éviter l’étalement urbain en maintenant une ceinture verte et agricole. Dans le cadre de sa réflexion sur la ville archipel, Jean-Yves Chapuis [36] questionne la vision urbaine de développement, en s’interrogeant sur la ville et la vie de demain. Le concept de ville archipel est remis à l’ordre du jour aujourd’hui compte tenu de la préoccupation constante de trouver l’équilibre entre consommation des sols naturels, maîtrise de l’urbanisation, et croissance démographique. La ceinture verte prend place entre la ville centre et les communes environnantes, mais aussi entre les communes elles-mêmes permettant de conserver la multipolarité de l’agglomération rennaise. La croissance des communes rennaises est alors contrôlée tout en assurant leur développement. Le projet urbain intègre alors le monde agricole et la campagne.
Cependant, aujourd’hui la densification semble appropriée uniquement dans les métropoles ou éventuellement les villes de taille moyenne. « La concentration urbaine permettrait de belles économies de ressources grâce à la densité des flux notre société dépend et optimiserait l’utilisation des surfaces, libérant des terres pour les forêts et l’agriculture » [37]. L’enjeu est de concilier la conservation des espaces de nature et la possibilité d’offrir une vie descente hors d’une armature urbaine consumériste et écologiquement très peu viable.
L’artificialisation des terres permet en outre de compenser les effets d’une densification trop importante au sein des grandes villes. Selon G. Faburel, la régulation de la crise environnementale par la préservation des sols peut alors apparaître dénuée de sens au regard de l’importance des désagréments que créent les grandes métropoles. Au regard des manifestes pour la grande ville, une critique immédiate de l’objectif ZAN émerge. En effet, la ville dense serait trop peuplée et non écologique. L’idée soutenue par G. Faburel est que les espaces qui sont encore très peu peuplés devraient être « repeuplés sous conditions des espaces accueillant encore peu de vivant. » [38]. L’objectif ZAN affiché en tant qu’outil cadre de protection de l’environnement est remis en question. En effet, celui-ci permet une protection des sols naturels mais renvoie à une densification des espaces déjà urbanisés, et procède, alors, à augmenter les effets indésirables des villes. Toutefois, à ce propos J-Y. Chapuis remet en cause le lexique de l’habiter. Il parle notamment d’intensité urbaine et non de densité urbaine, vision moins péjorative de la ville, notamment permise par l’intégration de la nature.
Aussi, ces formes urbaines sont souvent associées aux grands ensembles des années 1960 largement décriés aujourd’hui. Il conviendrait alors de se détacher des représentations négatives auxquelles est souvent réduit ce processus qualifié « d’urbanisme vertical ». Il convient alors de déconstruire ces imaginaires autant auprès des acteurs du territoire, en particulier les élus, que des habitants actuels et futurs, posant un enjeu d’acceptation sociale. En effet, l’objectif ZAN impose de développer ce mode d’urbanisation à l’ensemble des villes et communes urbaines ou rurales, densément peuplées ou non. Toutefois, l’échelle de densité est à envisager au regard des évolutions démographiques à venir qui sont singulières à chaque territoire. Cette densification doit également se faire en considération du tissu existant afin de s’inscrire au mieux dans le paysage urbain.
Le modèle de la densification semble être acceptable et s’insérer dans la politique de certaines villes dont le modèle de développement a déjà débuté en ce sens. La ville de Rennes par exemple mène une politique de développement dans cette logique depuis plusieurs années déjà. La traduction spatiale de l’objectif ZAN au travers de la densification semble plus évidente sur certains territoires sans pour autant effacer l’enjeu de l’acceptation sociale qui peut constituer un frein au développement d’une telle politique d’urbanisation et d’autant plus dans certaines communes rurales où la morphologie dominante est le tissu pavillonnaire.
Comme rappelé précédemment les zones où le développement de constructions bâties est encore possible se situent souvent à proximité immédiate du tissu urbain existant ou encore du centre bourg. Les terrains encore disponibles sont situés dans des zones déjà urbanisées ou dites à urbaniser. Celles-ci sont répertoriées à l’échelle des communes sur une carte annexée au règlement du Plan Local d’Urbanisme sous la classification zone Urbanisée ou À Urbaniser, souvent raccourcies à l’acronyme U ou AU. Afin d’assurer une cohérence urbanistique et architecturale dans le projet, cela implique parfois d’effectuer du renouvellement urbain. Par conséquent, dans une opération immobilière ou d’aménagement le poste principal des dépenses est le foncier qui peut parfois atteindre des coûts considérables. Face à un tel coût d’acquisition initial, cela implique d’augmenter les prix de vente des logements ou d’augmenter la surface de plancher totale afin d’augmenter les recettes et avoir une opération à l’équilibre. La première solution évoquée ne ferait qu’alimenter la bulle spéculative immobilière et contribuerait alors à renforcer la crise du logement. La deuxième se traduit spatialement par des hauteurs atteignant parfois entre R+17 et R+10 [39] dans des communes rurales.
C- Le ZAN : quel impact sur la mobilité ?
Les fonctions accordées aux sols invitent à des compréhensions diverses. Il convient alors de s’interroger sur les mobilités qui est une fonction associée au sol afin d’étudier comment celles-ci vont être questionnées dans ce contexte. En effet, les mobilités et les infrastructures connexes sont à l’origine d’une partie de l’artificialisation des espaces et de leur imperméabilisation. C’est pourquoi, l’objectif ZAN qui va contraindre l’utilisation des sols, invite les communes et les opérateurs à repenser les réseaux de transports. Cela passe notamment par le questionnement des espaces monofonctionnels. Cette séparation spatiale des fonctions (habitat, commerce, productif…), génératrice d’un tissu urbain peu dense, oblige d’utiliser l’automobile. En effet, le développement du réseau autoroutier national « est directement associé à l’éloignement progressif des lieux de résidence et de travail, entraînant entre 1975 et 2015 le doublement de la distance médiane parcourue par les actifs qui ne travaillent pas dans leur commune de résidence » [40]. Progressivement la voiture a façonné une ville fragmentée. Ainsi, les individus sont devenus dépendants de la voiture pour vivre dans cette ville mais ce modèle n’est pas soutenable. Outre les pollutions atmosphériques et sonores, ce sont les sols nécessaires à la construction du réseau routier qui sont impactés. L’automobile et les formes spatiales qu’elle a créées, plus précisément celles de l’étalement urbain, a amené à une crise de l’utilisation des terres agricoles et indirectement à une crise environnementale.
Malgré les effets négatifs que la voiture a engendrés, elle demeure un symbole de liberté et est nécessaire à de nombreux individus dans leur quotidien. L’automobile n’est donc pas l’ennemi à combattre et à repousser complètement des villes, mais doit plus être utilisée comme un référentiel de mobilité à interroger. En effet, sa place et son utilisation doivent permettre de réfléchir à des alternatives pour favoriser des mobilités moins polluantes. Globalement, il s’agit de réfléchir à une utilisation plus consciente et flexible de l’ensemble des moyens de transport présents sur un territoire. L’objectif ZAN vient soumettre l’idée d’une mobilité intelligente. Pour ce faire, il s’agit d’imaginer la ville de la proximité en réduisant la place et la dépendance de la voiture tout en développant des alternatives telles-que la marche, les modes doux et les transports en commun. « La ville de la proximité mélange systématiquement les usages au lieu de les dissocier, et les rapproche les uns des autres. C’est un virage essentiel, qui prendra du temps, mais l’urbanisme ne peut plus déléguer à l’automobile le soin de compenser ses incuries. L’ensemble fait système, et le système est dans l’impasse » [41]. La ville de la proximité est donc aussi celle de la diversité qui laisse aux usagers le libre choix de délaisser l’automobile. Par exemple, sans le concept de ville archipel, l’urbanisme de proximité est mis en avant grâce à une mise en relation des différents pôles urbains possible par le renforcement du réseau de transports en commun. Le projet urbain de la ville archipel est entre autres d’interconnecter les différentes entités qui composent la métropole donnant lieu à une pluri centralité. Cela est possible grâce à une mise en réseau qui introduit la notion de proximité, par un réseau de transport densifié. C’est donc l’image d’une ville qui s’ouvre à d’autres territoires plus éloignés mais également au territoire qui le borde. Ainsi, l’idée de la métropole est qu’elle s’ouvre sur elle-même en créant un réseau développé par les mobilités.
Ainsi, la question de la mobilité, de la juste distance entre les espaces, est un point majeur d’un modèle urbain intégrateur qui fonctionne afin de lutter contre la crise. Effectivement, « La voiture a permis l’étalement urbain, qui lui-même allonge sans cesse les distances parcourues. L’impact en est devenu insupportable. Il va donc falloir retisser la ville de la proximité en rapprochant les fonctions, en réduisant les distances et en multipliant les alternatives » [42]. Une réponse à l’urbanisme contemporain est donc, aujourd’hui, la question de la distance et de la proximité, mais également de l’éloignement. « l’urbanisme s’occupe autant des espaces que des espacements » [43]. La mobilité est l’une des composantes de la qualité des espaces et de l’indépendance d’un territoire. Cette dernière dépend donc de son offre de déplacement, il faut donc « concevoir la ville des justes distances » [44].
Une réponse positive à l’objectif ZAN ne peut se faire sans questionner les mobilités et leur évolution. Cet objectif invite donc à repenser les processus de fabrication des villes et plus largement de l’urbain, souvent limité à l’adage « refaire la ville sur la ville » à l’image d’un palimpseste. Cette idée se recoupe dans le cadre de l’objectif ZAN, à un besoin de repenser la ville, de la recréer, de requalifier les espaces et les mobilités qui les encadrent, intégrant ainsi cet objectif comme progrès de prise en compte des conditions et du cadre de vie.
Conclusion
L’objectif ZAN induit nécessairement de considérer les vides urbains. L’enjeu est de combiner le développement urbain et la dimension sociétale, permettant d’investir ces espaces vacants sans altérer la qualité de vie des habitants. Il apparaît alors essentiel de comprendre les mécanismes qui régissent chaque espace. Cependant, cet objectif ne peut être réduit à la notion de densification, celui-ci prend également en compte une dimension de renaturation. Dans une logique de limitation de l’extension urbaine, l’objectif ZAN doit permettre de remettre en cause la fabrique de la ville de manière transversale. Cet objectif ne se limite pas à un domaine en particulier mais interroge l’ensemble des matières qui composent la ville. Ainsi, cet objectif recouvre les processus de densification et de renaturation, mais également la gestion des espaces publics, des cheminements et des mobilités nous invitant à penser l’espace en tant qu’usager. Il apparaît alors essentiel de construire collectivement la réponse afin d’atteindre cet objectif.
A l’heure actuelle, la concrétisation de l’objectif ZAN est plus complexe que sa traduction réglementaire. En effet, « les outils réglementaires et économiques mobilisés par les pouvoirs publics non seulement n’ont pas été conçus pour limiter cette artificialisation, mais de surcroît tendent souvent à l’amplifier en accompagnant le développement et l’équipement des territoires » [45]. L’objectif ZAN vise à repenser l’ensemble des échelles de planification afin d’assurer une cohérence et d’œuvrer dans le sens d’un objectif commun à l’ensemble des territoires et de répondre à des enjeux d’intérêt nationaux. L’application de cet objectif par l’ensemble des acteurs du territoire, ne pourra se faire qu’à condition que soient reconnues les spécificités de chaque territoire. L’urbanisme ne doit se faire qu’en fonction des réalités contextuelles et des besoins spécifiques de chaque territoire. Le progrès en tant que valeur sociale nous projette à moyen et à long terme. En effet, à moyen terme le progrès reste un empilement d’évolutions qui mène en conclusion à la validation de celui-ci. À long terme, les changements des pratiques de l’urbanisme qui sont impulsés par l’objectif ZAN sont donc un progrès qui deviendra une habitude et un facteur d’émancipation. En tentant de résoudre la crise environnementale, cet objectif contribue à créer d’autres crises. Ainsi, les conditions pour répondre à celle-ci doivent nécessairement passer par de multiples progrès.
Le ZAN marque la première volonté d’action pour éviter la crise majeure résultant de la conjonction temporelle de plusieurs crises avec le dépassement de seuil d’irréversibilité en matière de surexploitation des ressources naturelles, dans ce cas-ci : le sol. Finalement, la crise provient de la forte consommation foncière à laquelle est souvent associée l’étalement urbain. Or, le ZAN conduit à de multiples interrogations qui restent des évolutions partielles des modes d’habiter. Derrière l’objectif ZAN se cache la nécessité d’un progrès dans d’autres domaines, notamment celui de la gouvernance. Sans le caractère transversal du progrès, l’objectif ZAN ne pourra pas s’inscrire dans les politiques territoriales. Aujourd’hui, nous constatons un décalage entre le territoire institutionnel et le territoire local. L’échelon essentiel est celui de la proximité.