Par le fait de la guerre, [l’hôtellerie française se doit] d’être demain une industrie véritablement nationale, car aucune autre industrie ne fera plus qu’elle la fortune du pays [1].
Au sein de l’histoire de l’hôtellerie contemporaine, la Première Guerre mondiale se présente comme l’une des périodes amorçant la mutation de l’économie hôtelière française en une industrie reconnue et concurrentielle. En effet, si les grands hôtels haut de gamme sont, dès le siècle précédent, symboles d’une modernité en termes d’équipements, de confort et de service [2], la crise profonde engendrée par la Grande Guerre oblige les pouvoirs publics et les hôteliers eux-mêmes à repenser leur modèle. Ainsi, bien que la guerre porte un coup certain aux dynamiques de développement du secteur hôtelier national, cette crise se présente aussi comme l’une des périodes amorçant la mutation de l’hôtellerie française en une industrie à l’équipement global plus moderne et aux techniques professionnelles mieux normées qui ne cessent de se perfectionner au fil des décennies suivantes. Dès 1919, l’économie touristique nationale connaît une importante reprise, notamment grâce à l’afflux de visiteurs étrangers, en particulier américains [3], attirés par la visite des lieux de mémoire de la guerre [4]. Le tourisme, et par conséquent l’hôtellerie, apparaissent dès lors, aux yeux de divers acteurs qui leur sont liés, comme des éléments clés, de la reprise économique du pays.
Au sein de l’historiographie contemporaine internationale depuis les années 1990, l’étude de la guerre est une composante majeure de l’histoire du tourisme [5]. Pourtant, ce champ de recherche demeure lacunaire concernant ses conséquences sur l’hôtellerie française [6]. Afin d’apporter quelques éléments de réflexion sur la question, cette contribution propose de s’intéresser aux conséquences de la crise profonde induite par la Première Guerre mondiale au sein du secteur hôtelier français. Bien qu’ayant été considérablement affaiblie par le conflit tant humainement que sur le plan matériel, le secteur hôtelier national et ses acteurs font preuve de résilience avant même la fin des hostilités conduisant à la mise en place de plusieurs innovations de produit et de procédé. Sur cette question, on retiendra l’influence notable des initiatives privées émanant de grandes associations à l’instar du Touring Club de France. Parallèlement, et signe d’un véritable progrès, les années d’après-guerre sont marquées par une implication de plus en plus soutenue des pouvoirs publics à l’égard des questions hôtelières nationales. Ces derniers voient dans ce secteur un outil nécessaire à l’activité touristique française, dont l’économie et l’organisation institutionnelle se trouvent elles-mêmes favorisées durant la période [7].
En quoi la Première Guerre mondiale, crise majeure pour l’économie française, représente-t-elle un tournant dans les trajectoires d’innovations de l’hôtellerie nationale, contribuant à son développement en un secteur concurrentiel ? Quels vecteurs ont pu contribuer à une plus large diffusion de nouveaux équipements modernes et d’une normalisation des techniques professionnelles ?
Si l’on évoque le développement d’une industrie hôtelière nationale, il convient d’en expliciter le sens. Bien que le tourisme, et en particulier l’hôtellerie qui en constitue, en tant que secteur économique et social et système d’entreprises, l’une de ses composantes majeures, sont dénommés et pensés dès le début du XXe siècle comme une industrie [8]. L’expression « industrie hôtelière » se trouve déjà utilisée, au regard des sources, depuis le milieu du XIXe siècle en particulier pour qualifier la grande hôtellerie [9]. Ce n’est cependant qu’après le conflit que l’on assiste au développement d’une réflexion globale menée à l’égard du secteur hôtelier, en particulier au sujet de son confort et de ses services. Au sein de ce processus perceptible dans les années 1920, il convient d’insister sur le rôle croissant qui y fut joué par les pouvoirs publics. La reconstruction mais également la volonté d’une modernisation à grande échelle des établissements hôteliers apparaissent, à leurs yeux, comme des priorités économiques de l’après-guerre. Divers outils sont alors mis en place afin d’accompagner ces changements. Nous développerons le cas de deux d’entre eux, l’un tourné vers l’amélioration technique des hôtels accompagnée par le Crédit national hôtelier et l’autre en lien avec la professionnalisation des employés français, que l’on retrouve relayée par le développement de l’enseignement hôtelier national.
I- La Première Guerre mondiale : une crise majeure dans la trajectoire de développement du secteur hôtelier national
La Première Guerre mondiale se présente souvent comme un moment de rupture économique majeure en raison des difficultés qu’elle a pu générer dans un grand nombre de secteurs d’activités du territoire français. L’activité hôtelière nationale n’échappe pas à ce constat. Le conflit laisse celle-ci dans un état de dégradation important.
D’abord sur le plan humain, avec plus d’un million trois-cent-mille soldats français tués lors du conflit [10] qui laissent de nombreuses familles en deuil sans appui masculin pour subsister. Combien de familles hôtelières se retrouvèrent alors en difficulté ? Si les sources insistent souvent sur l’état général de l’aspect matériel des établissements hôteliers au sortir de la Première Guerre mondiale, nous n’avons trouvé aucune référence aux pertes humaines liées spécifiquement au monde hôtelier. Prenons l’exemple du numéro L’Hôtellerie française, organe indépendant d’initiative hôtelière de prévoyance et de défense [11] daté du 29 octobre 1920. Bien qu’il soit entièrement consacré à la reconstruction hôtelière, on remarque que, s’il est fait référence aux nécessités de reconstruction matérielle et de financements possibles, aucune mention n’est faite quant aux pertes humaines du secteur. Pourquoi un tel manque de sources concernant les pertes humaines liées au monde hôtelier ? Manque de données ou ignorance volontaire pour se recentrer sur l’avenir ? Ces difficultés d’ordre humain sont également imputables à la place occupée par les employés étrangers au sein de la grande hôtellerie. Si les Suisses ont eu tendance, de par la neutralité de leur pays durant le conflit, à conserver leur place [12], la guerre engendre un vif rejet des personnels allemands et austro-hongrois dans le secteur [13].
En revanche, les dégradations liées à l’aspect matériel sont plus visibles au regard de la documentation d’époque. Outre les destructions liées directement aux combats, l’une des causes principales de dégradation pour les hôtels a été souvent l’utilisation intensive des locaux dans le cadre de réquisitions militaires [14]. En effet, dès l’entrée en guerre, le Service de Santé Militaire procède à un large recours aux hôtels possédant des infrastructures adaptées à l’accueil massif de blessés. Hormis les installations de santé, certains établissements sont réquisitionnés dans un souci bureaucratique. Bien que le nombre total d’hôtels occupés entre 1914 et 1918 soit difficilement mesurable au regard des sources, un commentaire peut néanmoins être fait sur leur profil. Il s’agit avant tout d’hôtels de grandes capacités, capables d’accueillir un nombre important de personnes. On privilégie alors les hôtels de catégorie supérieure mieux dotés en équipements modernes. Ainsi, à Biarritz, tous les grands hôtels de luxe, à l’exception de l’Hôtel du Palais, sont réquisitionnés durant le confit afin d’accueillir les blessés de guerre [15]. Si les réquisitions ont un impact certain pour les hôtels de premier ordre, une grande majorité de l’hôtellerie nationale est, quant à elle, affectée par la mobilisation des hommes mais aussi par les manques d’afflux de touristes.
Compte tenu de la diversité des dommages subis par les différents types d’établissements hôteliers, il paraît complexe d’établir des données fiables quant à la dégradation globale de ce secteur d’activité suite au conflit. En effet, les données concernant l’hôtellerie pour la période 1918-1924 sont rares, la priorité n’étant pas à la quantification de ces entreprises. Certaines organisations syndicales se sont néanmoins essayées à l’exercice. On retiendra par exemple les données fournies par l’Hôtellerie française en 1920 qui avance que, suite à la guerre, la capacité hôtelière du pays a diminué de 20% [16].
Pourtant, l’imaginaire lié à l’aspect destructeur de la Première Guerre mondiale mérite, dans certains cas, d’être nuancé. En effet, bien que les arrivées de touristes chutent bel et bien pendant le conflit, ces derniers, parfois en partie remplacés par des permissionnaires, permettent à certains établissements, même petits, de demeurer économiquement viables [17]. C’est ce que démontre notamment Erwan Le Gall dans le cas de Saint-Malo [18].
L’impact de la guerre pour le secteur hôtelier national, s’il est largement perceptible, notamment au niveau humain, appelle cependant certaines nuances concernant son aspect purement matériel. Bien que de nombreux grands hôtels haut de gamme furent bel et bien réquisitionnés par les services militaires, cela n’a, en réalité, engendré que quelques cas avérés de dégradation des installations. En témoigne le Journal des Débats du 29 août 1915 dans lequel il est précisé que « les hôpitaux ne font usage ni des ascenseurs, ni du chauffage central, ni de l’argenterie, ni des tapis, ni du mobilier de luxe, ni des tentures » [19]. De plus, cette occupation ne concerne pas une majorité des petits établissements présents dans le pays dont les difficultés se trouvent davantage liées au manque de main-d’œuvre et de clientèle.
Outre ses conséquences matérielles et humaines marquées, la Première Guerre mondiale se révèle également être un tournant majeur au sein de l’histoire des politiques de développement global menées en faveur de l’hôtellerie nationale. Bien avant la fin du conflit, ce secteur d’activité s’est en effet présenté, aux yeux des pouvoirs publics, comme l’une des clés de la relance économique du pays.
II- Le rôle croissant de l’État dans les progrès hôteliers de l’après-guerre
Si les débuts de la mise en place d’un système touristique [20] en France, dont l’hôtellerie représente l’une des branches majeures, datent bien du XIXe siècle [21], les pouvoirs publics tardent à s’intéresser au développement de ce secteur d’activité pourtant essentiel dans la dynamique d’attractivité du pays. Ainsi, jusqu’aux années 1910 et la création de l’Office National du Tourisme [22], l’État ne possède pas d’organisme officiel destiné au soutien et à l’impulsion d’une dynamique hôtelière nationale, ce rôle étant souvent délégué aux Chambres de Commerce. L’accompagnement du secteur hôtelier incombe alors, le plus souvent, à une série d’acteurs privés liés au monde associatif. On retiendra notamment le rôle majeur joué par le Touring Club de France dans cette entreprise [23]. La guerre marque un tournant dans les politiques d’interventions étatiques à l’égard du secteur hôtelier. Quelles sont les raisons d’un tel changement ?
Un élément de réponse est identifiable en ouvrant la focale nationale pour s’intéresser aux politiques hôtelières menées par les autres pays européens depuis le début du siècle, en particulier la Suisse et l’Allemagne. Par exemple, les années 1915 voient en Suisse l’accroissement de l’implication des pouvoirs publics concernant l’encadrement de l’offre hôtelière, alors soumise à une forte concurrence intérieure, ainsi que la mise en œuvre d’une promotion touristique organisée [24]. Les pouvoirs publics français, désirant s’inscrire dans cette dynamique européenne en matière d’interventionnisme étatique sur la question touristique, décident, entre la fin de la guerre et les années 1920, de développer leur politique de soutien à la reprise et à la modernisation du secteur hôtelier. En témoigne cette citation de l’équipe rédactionnelle du Touring Club de France à l’automne 1919 :
On comprend de plus en plus, en France, ce que les Suisses, les Allemands et les Autrichiens ont compris depuis si longtemps, que la création d’hôtels est en quelque sorte un gage de prospérité collective pour une ville ou une région [25].
Souhaitant s’inscrire au cœur de cette politique concurrentielle internationale, au sein de laquelle on retrouve également les États-Unis, le gouvernement français mène, avant même la fin des hostilités une réflexion autour de l’enjeu que représente le secteur hôtelier pour son économie. En 1915, le ministère des Travaux publics charge Pierre Chabert, conseiller du Commerce extérieur de la France et spécialiste des questions économiques hôtelières, d’effectuer un rapport sur l’organisation du tourisme aux États-Unis et au Canada. Publié en 1918, cet ouvrage, au titre évocateur, Le tourisme américain et ses enseignements pour la France [26], présente différents éléments. On y retrouve en premier lieu un questionnement relatif à la stratégie commerciale touristique menée par les Américains et, d’autre part, des considérations sur l’opportunité que représenterait l’afflux des touristes de cette nationalité qui seraient attirés, dès la fin du conflit, par la visite des champs de bataille de la Grande Guerre. La question hôtelière tient une place majeure dans les réflexions de Chabert qui consacre un chapitre au modèle hôtelier américain alors considéré comme l’un des plus aboutis de par son organisation, sa modernité et son professionnalisme [27]. La deuxième partie, « Les Américains en France et en Europe » [28], tente de fournir des idées afin d’attirer cette clientèle potentielle en France. On en retiendra notamment l’insistance quant au développement d’une publicité plus agressive émanant des grands hôtels français [29]. Ce rapport témoigne d’une réelle volonté étatique d’anticiper l’afflux de nouveaux de visiteurs après le conflit.
Ainsi, dès la fin des hostilités, l’afflux de touristes nationaux et internationaux s’avère être une réalité sur le territoire français. Pourtant les données chiffrées sur le sujet demeurent rares à l’époque. Dans son rapport, Chabert établit qu’une évaluation porte entre 600 000 et 700 000 visiteurs américains qui « se rendront en France dans l’année qui suivra la fin des hostilités » [30]. Ces chiffres attendus en 1919/1920 peuvent être confrontés à ceux fournis par l’Office National du Tourisme dans des rapports annuels publiés entre 1917 et 1926 en annexe du Journalofficielde la Républiquefrançaise [31]. En collaboration avec le département du Commerce du gouvernement de Washington, l’Office National du Tourisme porte à 125 000 le nombre de touristes et voyageurs en provenance des États-Unis. Ce nombre passe à 150 000 en 1924 puis à 180 000 en 1926, relativisant ainsi les chiffres espérés dans le rapport de Chabert. Concernant une donnée d’ensemble pour l’immédiat après-guerre, le Touring Club de France évalue à 500 000 l’afflux potentiel des touristes étrangers en France en 1919/1920 [32]. Notons cependant l’absence de données concernant le tourisme intérieur dans la documentation consultée.
Au regard de ces chiffres, il est possible de conclure à une nette reprise touristique au cours des années d’après-guerre. Celle-ci se trouve notamment facilitée par une plus grande accessibilité aux moyens de transports internationaux tels que le chemin de fer ou les transatlantiques [33]. Ce redémarrage s’intègre alors au cœur d’une politique d’attractivité hôtelière nationale. En effet, le secteur doit rapidement répondre aux nouvelles pratiques touristiques de moins en moins distinctives de l’après-guerre mais aussi chercher à satisfaire les attentes d’une clientèle plus exigeante, en particulier celle en provenance de l’étranger, davantage habituée à séjourner dans des établissements marqués par une modernité certaine alliant hygiène et confort. Nous venons d’évoquer l’avance technique proposée par les hôtels américains à leur clientèle. Si les grandes maisons de premier ordre françaises [34] répondent majoritairement à ces nouvelles attentes internationales, tel n’est pas le cas pour une large part d’hôtels de 2e et 3e catégorie [35], souvent caractérisés par un équipement plus modeste en matière de sanitaires, de chauffage central ou d’installations électriques, faiblesse accentuée par les privations induites de la guerre. On retrouve ici le triptyque assimilé à l’impression de modernité au sein d’un équipement hôtelier pour l’époque. S’ils sont largement répandus dans les hôtels de premier ordre, ces équipements peuvent néanmoins se retrouver, souvent de façon éparse, dans de plus petites entreprises. À titre d’exemple, nous pourrions citer le cas de la famille Marceillac, propriétaire depuis 1912 d’un petit hôtel d’une douzaine de chambres situé à Castelsarrasin, ville du Tarn-et-Garonne. Les témoignages des propriétaires actuels de l’hôtel, Jean Marceillac, arrière-petit-fils du fondateur de l’hôtel en 1912, et sa fille Marie-Hélène Marceillac, nous ont révélé que l’hôtel, dès son inauguration, possédait le chauffage central et l’eau courante dans chaque chambre :
Sur la publicité il y avait marqué ’chauffage central’, ’eau courante’. À l’origine il y avait un lavabo et un bidet dans chaque chambre avec un paravent. Et il y avait deux salles de bains, au premier et au deuxième étage, avec de belles baignoires sur pied. Il avait fait tout le confort moderne. (…) [36].
Afin de soutenir l’effort de reconstruction entrepris dès la guerre mais aussi de favoriser le développement du confort pour une plus grande proportion d’établissements du parc hôtelier national, est mis à la disposition des hôteliers français en 1923, un outil novateur, le Crédit national hôtelier.
III- La mise en place d’un outil majeur aux dynamiques de modernisation de l’industrie hôtelière nationale de l’après-guerre : le Crédit national hôtelier
Au sein du processus de mutation du secteur hôtelier français entre la sortie de guerre et la crise des années 1930, l’instauration du Crédit national hôtelier en 1923, premier organisme bancaire officiel destiné spécifiquement aux hôteliers, joue un rôle sur lequel il convient de s’arrêter. Représentant un véritable progrès pour l’économie hôtelière, la question de sa création et de sa mise en place est particulièrement traitée dans les sources et la bibliographie [37]. Nous avons donc choisi de nous intéresser, de façon plus inédite, aux dynamiques de modernisation insufflées par cet organisme au sein de l’industrie hôtelière nationale dans les années d’après-guerre.
Si, plusieurs sources d’époque établissent le type d’équipements nécessaire à un établissement pour répondre au minimum de confort attendu des clients notamment en matière d’hygiène [38], l’une des principales raisons empêchant les hôteliers de se moderniser s’avère souvent être le manque de fonds financiers. Par exemple, en janvier 1924, le Touring Club de France, association largement impliquée dans la stratégie de modernisation des petits établissements hôteliers, notamment dans les zones rurales, publie un dossier intitulé « l’hygiène à l’hôtel ». Y sont présentés de nouveaux équipements sanitaires dont le coût des travaux d’installation est indiqué comme étant souvent la cause des hésitations des propriétaires [39].
C’est dans le but de favoriser l’emprunt hôtelier à grande échelle, qui permettrait la réalisation de plus de travaux de modernisation dans le secteur, qu’est mis en place le Crédit national hôtelier par la loi du 23 juin 1923 et dont les modalités de crédits sont spécifiées par le décret du 30 novembre de la même année. Cette innovation bancaire s’inscrit, pour les pouvoirs publics français, au cœur d’une volonté d’insertion au sein d’une dynamique d’implication étatique dans l’aide financière aux hôteliers, déjà avancée en Europe, en particulier en Suisse [40]. D’un fonctionnement semblable à une banque traditionnelle, le Crédit national hôtelier permet aux hôteliers d’accomplir différentes opérations commerciales de base à l’instar d’escomptes, d’avances ou de gestion de comptes et de dépôts. Néanmoins, sa principale fonction demeure l’octroi de crédits à court ou long termes [41] aux hôteliers indépendants ou établis en société.
En vue de favoriser la diffusion de nouveaux équipements modernes au sein du parc hôtelier national, est mis à la disposition des hôteliers un service technique, encadré par un comité d’experts. Ce service est notamment en charge de l’examen des plans accompagnant les demandes de crédit. Cherchant avant tout à répondre aux exigences de confort de l’époque, le service technique se garde le droit de refuser les plans originaux et peut en proposer des améliorations. Afin de conseiller plus précisément les hôteliers, ce service est aussi à l’origine d’un livret publié en 1927 et intitulé Conseils techniques pour l’architecture et les installations hôtelières par le Crédit National Hôtelier [42]. Destiné aux hôteliers et à leurs architectes, ce livret propose des conseils théoriques et pratiques accompagnés de plans types. Les concepteurs de ces plans portent une attention particulière aux éléments associés à la modernité et attendus par la clientèle des années 1920 : le confort des étages avec une chambre, dans laquelle l’isolation et le calme sont des aspects primordiaux et un accès aux équipements d’hygiène, « l’eau chaude et froide est l’hygiène élémentaire au vingtième siècle » [43] (cf. figure 1). La gestion énergétique du bâtiment apparaît aussi comme l’une des entrées privilégiées par le service technique.
Source : AD des Alpes-Maritimes, 05ETP 427. Conseils techniques pour l’architecture et les installations hôtelières, publié par le Crédit National Hôtelier, 1927, p. 35.
Grâce à la mise en place de cet organisme de crédit national, plus de douze mille chambres furent ainsi rénovées ou créées entre 1925 et 1929 [44], soulignant le succès de cette politique de modernisation hôtelière. Il convient néanmoins de préciser que la politique menée par le Crédit National Hôtelier a cependant touché en majorité les régions déjà pourvues d’un parc hôtelier conséquent à l’instar de la Savoie ou du Languedoc-Roussillon, délaissant souvent les espaces les moins dynamiques touristiquement [45].
Si la crise engendrée par la Première Guerre mondiale amène une réflexion sur la nécessité de modernisation de l’équipement hôtelier français, dont témoigne cet exemple du Crédit national hôtelier, elle est également à l’origine d’un questionnement autour d’une volonté accrue de professionnalisation de la main-d’œuvre hôtelière nationale.
IV- Développer et professionnaliser la main-d’œuvre hôtelière nationale : l’essor des écoles hôtelières en France
Si la relance de l’hôtellerie française passe avant tout par la modernisation de son équipement en vue de combler les nouvelles attentes d’une certaine clientèle, des actions en faveur de la professionnalisation de son personnel sont également engagées dès la fin de la guerre. Alors que la main-d’œuvre étrangère, en particulier suisse, apparaît avant-guerre comme étant la plus compétente en Europe, la crise sociale engendrée par la guerre entraîne une volonté grandissante de favoriser la professionnalisation des employés nationaux. Si les premières écoles hôtelières ouvrent dans le pays avant la Grande Guerre [46], on assiste entre 1914 et 1919 puis durant les années 1920, à un développement sans précédent de ces établissements. Entre 1914 et 1919 ouvrent ainsi dix-sept structures d’enseignement hôtelier de différentes natures [47], accueillant soit des garçons, soit des filles, soit les deux [48].En 1926, on totalise vingt-quatre écoles sur le territoire national [49].
Il s’agit là, pour les acteurs du secteur, d’un élément majeur contribuant à la relance de l’hôtellerie nationale. Les élèves de ces écoles hôtelières se trouvent dès lors pleinement insérés au cœur de cette politique de renouveau. L’analyse des programmes d’enseignement de l’une de ces écoles témoigne de ces progrès en termes de professionnalisation de la main-d’œuvre nationale. Ainsi, l’étude des programmes de cours de l’École pratique de Commerce et d’Industrie de Paris de 1916, dans laquelle on entre sur concours, appelle quelques commentaires (cf. tableau 1). Remarquons tout d’abord la place occupée par les cours affectés à l’étude et à la pratique des langues étrangères. Cela est particulièrement visible ici avec presque un tiers des heures de cours qui y sont consacrés en première et deuxième année. Cette pratique des langues vivantes s’inscrit au centre d’une volonté de concurrencer les employés hôteliers étrangers dont les compétences linguistiques reconnues en font alors souvent demeilleurs candidats à l’emploi que les Français. Par ailleurs, si l’ensemble des établissements d’enseignement hôtelier de l’entre-deux-guerres proposent un enseignement théorique destiné à assurer des bases solides aux futurs hôteliers, les matières dites « pratiques » prennent de plus en plus d’importance dans les programmes [50]. Ces cours pratiques répondent à un besoin largement exprimé par les acteurs impliqués dans le renouveau du secteur hôtelier français d’après-guerre, à savoir la nécessité d’insérer le système touristique national dans une dynamique européenne. Les programmes hôteliers ont pour ambition de former les nouvelles générations aux outils modernes de leur temps, les élèves devenant ainsi, à leur sortie, des vecteurs de novations au sein des établissements qui les emploient. Outre les traditionnels cours de cuisine, on retrouve à l’École pratique de Commerce et d’Industrie de Paris des cours de comptabilité hôtelière mais aussi des enseignements destinés à fournir aux futurs hôteliers un bagage technique lié aux nouveaux équipements matériels avec en particulier l’électricité et le chauffage (2 heures en première année). Les nouvelles notions liées à l’hygiène, qui prennent une importance particulière parmi les attentes de confort recherchées par les clients [51], sont également dispensées aux étudiants hôteliers.
Tableau 1 : Programme de cours de la section hôtelière de l’École pratique de Commerce et d’Industrie de Paris,1re et 2e année, (1916) Source : AD de Paris, 2ETP I-2.74 (50) | |||
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1re année | 2e année | ||
Matières | Volume horaire | Matières | Volume horaire |
Français et correspondance commerciale | 3 | Français et correspondance commerciale | 2 |
Anglais | 5 | Anglais | 5 |
Espagnol | 2 | Espagnol | 2 |
Portugais | 2 | Portugais | 2 |
Géographie commerciale | 2 | Géographie et histoire touristique de la France | 2 |
Économie politique | 1 | Arithmétique | 2 |
Arithmétique et algèbre | 2 | Comptabilité | 3 |
Comptabilité | 2 | Technologie hôtelière etchimie (les substancesalimentaires) | 2 |
Technologie, mécanique et physique (éclairage, chauffage, matériel d’hôtel,etc…) | 2 | Droit usuel | 1 |
Transports commerciaux en France | 1 | Transports commerciaux | 1 |
Sténographie | 1 | Hygiène | 1 |
Dactylographie | 1 | Sténographie | 1 |
Calligraphie | 1 | Dactylographie | 1 |
Notions sur le tourisme et les voyages modernes. Le fonctionnement de l’administration générale | 1 | ||
TOTAL | 25 | TOTAL | 26 |
L’ensemble de ces nouvelles compétences sont évaluées par les épreuves du premier diplôme hôtelier national instauré en 1918, le Certificat d’Études Pratiques Hôtelières [52]. C’est également cette année-là que paraît en France le premier traité destiné à la formation des élèves, le Traité d’industrie hôtelière de Louis Leospo [53]. Destiné avant tout aux élèves d’écoles hôtelières, cet ouvrage à caractère didactique ambitionne de contribuer à la professionnalisation des employés français du secteur [54].
Le développement des structures d’enseignement hôtelier en France, entre les années de guerres et les années 1920, s’inscrit donc pleinement dans le processus de mutation du secteur hôtelier. Souhaitant promouvoir une professionnalisation normée de la main-d’œuvre hôtelière nationale, ces écoles accueillent un public varié et mixte composé tant d’étudiants que d’actifs. Les programmes de cours, ainsi que nous l’avons vu au travers de l’exemple de la section hôtelière de l’École pratique de Commerce et d’Industrie de Paris, cherchent à diffuser les connaissances répondant aux nouvelles demandes des clients et aux innovations du secteur. À leur sortie de formation, les élèves, deviennent alors à leur tour des vecteurs de novation. Ils sont ainsi susceptibles d’influencer, par leurs compétences, l’ensemble des établissements dans lesquels ils se trouveront employés. Cette volonté s’inscrit également dans la recherche d’une concurrence à l’encontre des employés étrangers, en particulier de nationalité suisse et allemande, qui, représentaient jusqu’alors une excellence reconnue en matière de savoirs et savoir-faire hôteliers.
La rupture que représente la Première Guerre mondiale au sein de la trajectoire de l’hôtellerie française apparaît donc comme un tournant majeur dans l’histoire des progrès réalisés dans le secteur. Cette crise affecta l’activité hôtelière tant sur le plan humain que matériel à des degrés différents en fonction des entreprises. La guerre eut néanmoins une influence considérable sur la mise en place de nouvelles innovations annonçant les prémices d’une mutation vers des pratiques hôtelières plus normées. Désormais conscients du potentiel économique de l’hôtellerie et de son insertion au sein d’un projet global d’organisation de l’activité touristique nationale, les pouvoirs publics soutiennent, ou sont à l’origine, de plusieurs politiques menées en collaboration étroite avec les acteurs privés. Souhaitant s’insérer au sein d’une dynamique concurrentielle à l’encontre des pays européens à l’organisation hôtelière plus aboutie, comme la Suisse, l’État français ambitionne notamment de favoriser la modernisation globale du parc hôtelier national, alors très hétérogène. La mise en place du Crédit national hôtelier en 1923 porte cette ambition modernisatrice avec en particulier son service technique. Développer le secteur hôtelier national, c’est aussi favoriser les compétences de la main-d’œuvre française. C’est dans ce but qu’ouvrent différents établissements hôteliers, relevant d’organismes publics ou privés, entre la guerre et la fin des années 1920. Les programmes d’enseignements dispensés aux étudiants participent à cette diffusion d’une nouvelle modernité, faisant de ces élèves des vecteurs de novation à part entière pour le secteur. La Première Guerre mondiale, crise majeure nationale, a ainsi engendré une réflexion globale au sujet de l’hôtellerie nationale engageant unemutation majeure au sein d’un secteur de plus en plus perçu comme une manne d’intérêt majeur pour l’économie et le système touristique français.