Haïti tend à importer certaines règles d’urbanisme du droit français, pris comme étant un droit efficace et fonctionnel. Pour autant, la greffe juridique ne semble pas prendre : là où les règles étaient effectivement appliquées en France, elles restent majoritairement lettre morte en Haïti, ce qui contribue à renforcer les crises sociales dans le pays.
L’État d’Haïti est en crise politique depuis plusieurs années, avec la suspension de sa Constitution, la prévision d’un référendum constitutionnel puis l’assassinat durant l’été 2021 du Président de la République. La transition politique se montre également difficile, le pays étant au bord de la guerre civile.
Si, dans l’absolu, tout peut être prétexte à l’instabilité politique, Haïti présente une spécificité. Il s’agit en effet de l’un des États les plus pauvres du monde (le FMI classe Haïti comme 15e État avec le PIB le plus faible en 2021), frappé régulièrement par des séismes entraînant des glissements de terrain et des coulées de boues mortelles. La zone géographique a évidemment son lot de responsabilité, mais la gestion du territoire est telle qu’elle n’apporte pas de solution satisfaisante. La pauvreté est ainsi en partie liée à une gestion non optimale de l’aménagement du territoire, pauvreté qui semble être à son tour la cause principale de l’instabilité politique. En Haïti, la crise est donc liée à la gestion du territoire et à la mise en place d’un droit de l’urbanisme efficace, dans un sens large qui inclut la prévention des risques. Les catastrophes naturelles sont en effet exacerbées à cause de l’absence de respect des règles de bases en matière de prévention des risques, que ces règles juridiques ne soient pas correctement édictées ou qu’elles ne soient pas effectivement respectées.
Cette absence d’effectivité du droit de l’urbanisme haïtien est d’autant plus intéressante sur le plan scientifique – au-delà de son caractère tragique – qu’elle illustre les fonctionnements et les dysfonctionnements des greffes juridiques. En effet, Haïti, bien qu’étant l’une des anciennes colonies françaises à avoir pris son indépendance le plus tôt, a conservé avec la France des liens politiques et juridiques, en plus du lien linguistique évident [1]. Ces liens se sont traduits, sur le plan juridique, par des emprunts massifs du droit haïtien au droit français, notamment en matière d’urbanisme. On trouve ainsi dans le droit de l’urbanisme haïtien, parmi les documents d’urbanisme les plus récents, des plans d’occupation des sols (Décret du 12 octobre 2005, art. 25, Le Moniteur, 26 novembre 2006 [2]) ainsi que des schémas directeurs (Décret du 12 octobre 2005, art. 41), emprunts directs au droit français antérieur à la loi Solidarité et renouvellement urbain du 13 décembre 2000, qui a respectivement transformé ces documents en plan local d’urbanisme le schéma de cohérence territoriale.
Pour autant, la greffe juridique n’a pas pris, et c’est cet élément spécifique que l’on souhaite analyser ici. En effet, les diverses lois inspirées du droit français n’ont pas produit les effets espérés. Si le droit français de l’urbanisme semble plutôt fonctionner de manière efficace [3], il n’en est rien en Haïti. Les mêmes dispositions produisaient ici des effets juridiques certains, quand là-bas il n’est difficile d’en observer les effets dans la gestion urbaine du territoire [4].
Cette « lacune » porte sur l’aménagement du territoire, et non sur le droit positif. Il s’agit en effet de dire que les normes juridiques existantes, par leur inapplication, entrainent une absence de planification des constructions. Il ne s’agit en aucun cas d’argumenter en faveur de l’existence de lacunes dans le droit de l’urbanisme haïtien. Sans entrer dans les détails théoriques, il nous semble qu’en toute circonstance le système juridique est clos. Comme le note Paul Amselek, « l’usage métaphorique de l’idée de ‘‘lacunes’’ dans le domaine juridique dénote nécessairement un jugement de valeur sur l’état du droit en vigueur » [5]. En tout état de cause, et même si l’on souhaite admettre l’existence de lacunes, en toute hypothèse il existe ici des normes explicitent qui exigent un certain comportement. Il se trouve simplement que ces normes ne sont pas réellement appliquées. Les lacunes ne sont alors pas juridiques ; elles portent sur l’absence d’urbanisation maîtrisée.
Dans les développements suivants, plusieurs pistes d’explication seront explorées afin d’expliquer cette absence d’efficacité. Une première piste est que, de manière générale, les dispositions urbanistiques françaises sont le résultat d’une évolution progressive. Nous ne sommes pas passés de rien à tout ou, du moins, à beaucoup. Le droit de l’urbanisme a évolué progressivement, en étant efficace, c’est-à-dire doté d’effets, à chaque étape. La greffe juridique aboutir alors à ajouter des normes qui sont certes voulues, mais qui interviennent dans un environnement qui les rend difficiles voire impossible à mettre en œuvre.
Une seconde piste d’explication tient au système juridique haïtien en lui-même. En effet, le droit de l’urbanisme, en France, s’inscrit dans un système juridictionnel issu du droit administratif relativement abouti. Pour le dire trivialement, chaque maillon de la chaîne administrative qui met en œuvre et concrétise les normes issues du droit de l’urbanisme est relativement fonctionnel. La mise en œuvre des plans locaux d’urbanisme n’aurait jamais pu fonctionner sans les personnels municipaux et préfectoraux formés, et sans l’existence de voies de recours effectives. Ces éléments font largement défaut au système juridique haïtien.
Après avoir exposé dans un premier temps la réalité de la greffe juridique, on montrera donc que cette greffe ne pouvait pas prendre, entraînant alors une crise territoriale, ou du moins ne permettant pas de la résorber.
I. L’existence d’une greffe juridique du droit français sur le droit haïtien en matière d’urbanisme
L’idée d’emprunt, de greffe juridique ou de transplantation juridique [6] est consubstantielle au droit comparé. « L’histoire des droits est dans une certaine mesure l’histoire des emprunts » [7]. Bien souvent, le droit étranger est étudié et les droits sont comparés dans une optique pragmatique de modification d’un système juridique pour répondre à une question spécifique, à un enjeu particulier.
C’est ce qu’a fait Haïti concernant certaines dispositions de son droit de l’urbanisme, la greffe ayant été appuyée par le gouvernement français. En effet, divers programmes français visent à aider au développement d’Haïti [8] – et l’on considére que ce n’est que justice après la dette d’indépendance que la France a fait payer à Haïti et dont les intérêts n’ont fini d’être remboursés qu’en 1952 [9].
La greffe juridique s’observe le plus notablement à travers le décret du 12 octobre 2005, portant sur la Gestion de l’environnement et de la Régulation de la Conduite des Citoyens et Citoyennes pour un Développement Durable [10], qui a repris les Plans d’occupation des sols (art. 25) et les Schémas directeurs d’aménagement urbain (et d’assainissement) (art. 39, art. 41 et 42). L’article 25 prévoit ainsi que
les Collectivités Territoriales (Départements, Communes, Sections Communales) concourent avec le Pouvoir Central à la protection de l’environnement, à l’aménagement du territoire et à l’amélioration du cadre de vie. En plus des obligations imposées par d’autres lois et règlements d’ordre général, elles ont pour fonctions de : […] 3. veiller à la mise en oeuvre du plan d’occupation des sols, du plan d’aménagements physiques et l’application des normes d’urbanisme.
L’article 39 prévoit quant à lui que
le Plan National de l’Habitat et du Logement établira des contraintes d’aménagement sur l’environnement qui seront précisées au niveau des plans directeurs d’urbanisme ou des schémas directeurs d’aménagement urbain, communaux ou départementaux.
L’article 41 dispose enfin que
l’élaboration et la mise en oeuvre des schémas directeurs d’aménagement urbain et d’assainissement sont de la responsabilité des municipalités agissant isolément ou en regroupement suivant procédures et modalités établies par voie réglementaire communes à l’échelle nationale.
Le plan d’occupation des sols de l’article 25 est évidemment repris du plan éponyme, créé en droit français par la loi n° 67-1253 du 30 décembre 1967 d’orientation foncière, codifiée ensuite aux articles L. 123-2-1 et suivant du Code de l’Urbanisme (dans sa rédaction de 1996), avant que la loi SRU de 2000 ne vienne en modifier les dispositions. C’était précisément l’article L. 123-1 qui en fixait le contenu. Il n’est pas ici utile de rentrer dans le détail de dispositions abrogées depuis plus de vingt ans, et ce d’autant plus que ce n’est pas ici l’objet que de les analyser.
On notera toutefois que, là où les dispositions du plan d’occupation des sols en droit français prenaient un chapitre complet du Code de l’urbanisme, en droit haïtien elles ne sont que mentionnés dans un article décrétal, sans que leur contenu, leur portée ou leur procédure d’adoption précise ne soient développées.
Concernant les schémas directeurs d’aménagement urbain et d’assainissement des articles 39 et 41, il s’agit d’une autre référence au droit français, le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme, mis en place dans la même loi d’orientation foncière de 1967, renommé en 1983 schéma directeur, puis codifié aux articles L. 122-1-1 du Code de l’urbanisme, avant de devenir en 2000 le Schéma de cohérence territoriale.
Deux remarques méritent d’être faites. D’abord, et comme pour le plan d’occupation des sols, les dispositions du droit haïtien ne font que mentionner ces textes, sans pour autant en donner la portée ou les modalités d’élaboration. Ensuite, on retrouve deux dénominations distinctes sans savoir si elles désignent deux schémas différents. En effet, l’article 39 du décret de 2005 évoque les « schémas directeurs d’aménagement urbain » alors que les articles 41 et 42 mentionnent les « schémas directeurs d’aménagement urbain et d’assainissement ». Ce flou est assez typique du droit de l’urbanisme haïtien, qui est assez peu lisible. Il a ainsi pu être dénombré plus de 16 documents de planification [11], dont aucun n’est réellement développé dans son contenu, sa portée ou ses modalités d’élaboration. De plus, l’absence de codification reste un frein à la maitrise de ces textes.
Pour autant, la greffe juridique de la France vers Haïti semble évidente, puisque les dispositifs mis en place portent le même nom et que la France, institutionnellement, a une place importante dans l’élaboration du droit haïtien, par ses activités de soutien et de support institutionnel. L’on pourrait même avancer que ce caractère de greffe limite les effets des absences de précision du droit haïtien. L’inspiration étant évidente, la simple mention des documents issus du droit français pourrait valoir, toutes choses égales par ailleurs, greffe du régime juridique entourant ces mécanismes.
L’argument n’est pas dénué de fondement sur le plan de la théorie du droit. La norme n’est jamais que la signification d’un énoncé, signification issue d’un contexte spécifique qui peut très bien, par une seule expression, emporter tout un régime juridique. Il n’est ainsi pas absolument inenvisageable d’admettre que dans une disposition législative ou décrétale, la simple création d’un plan ou d’un schéma, inspiré du droit étranger et présenté comme tel, implique une référence aux dispositions étrangères relatives à ce mécanisme juridique autant qu’il est possible. Le problème, ici, réside notamment dans une référence floue au droit français, et ce cinq ans après que la dénomination et le régime de ces mécanismes d’urbanisme aient changés. Le changement n’est en plus pas marginal, comme lorsqu’en 1983 le schéma directeur d’aménagement urbain est devenu simple schéma directeur. Il s’agit, en droit français, de mécanismes relativement différents. De plus, les schémas directeurs d’aménagement urbain, s’ils gardent l’acronyme SDAU, ne reprennent pas exactement la terminologie française, ce qui rend une transposition pure et simple difficile même si l’inspiration ne fait pas de doute.
La greffe juridique haïtienne est donc réelle, mais elle semble faible juridiquement. Elle se contente de créer des catégories générales de documents sans pour autant remplir précisément ces catégories. L’existence d’un système juridictionnel pourrait combler cette absence de précision en interprétant les catégories comme liées – ou déliées – du droit français et comme imposant certaines obligations à l’État et aux collectivités territoriales. Ce n’est toutefois pas le cas, tant le système juridictionnel haïtien lui-même apparaît inefficace.
II. L’absence d’efficacité de la greffe juridique illustrant la nécessité d’un ordre juridictionnel effectif pour les transplantations juridiques d’urbanisme
La greffe juridique n’a pas pris. Filler la métaphore médicale est impossible. Il n’y a pas eu rejet à proprement parler parce que les nouvelles règles n’ont pas été rejetées. Elles sont même paradoxalement plutôt bien accueillies au niveau des municipalités conscientes des enjeux de l’encadrement des constructions pour la pérennité des villes non pas sur le moyen terme mais simplement sur le très court terme, les catastrophes naturelles et climatiques n’étant jamais loin. Si elles ne sont pas rejetées, elles ne sont pour autant pas appliquées. Les schémas directeurs d’assainissement urbain ne sont pas élaborés, pas plus que les plans d’occupation des sols. L’absence générale de tels documents ne favorise pas les demandes de permis de construire, qui de facto sont presque inexistants [12]. L’on avancera deux pistes liées pour expliquer cette absence d’effet des règles d’urbanisme. La première concerne les éléments de la greffe juridique eux-mêmes et la seconde le substrat juridique sur lequel la greffe a été tentée.
Dans un premier temps, la greffe du droit de l’urbanisme français sur le droit de l’urbanisme haïtien apparaît, sur son principe, assez ambitieuse. Il s’agit de transposer un droit de l’urbanisme qui existe depuis plusieurs années, qui a eu le temps d’évoluer, vers un système qui in fine n’a que peu de normes d’urbanismes. Outre une loi du 29 mai 1963 [13] et un décret du 22 octobre 1982 [14], reprenant déjà des éléments de la loi Cornudet du 14 mars 1919 [15], le droit de l’urbanisme était assez limité en Haïti. Ainsi, sans nécessairement être inexistant totalement, le droit de l’urbanisme haïtien n’était que peu développé, contenait peu de normes et se montrait peu efficace. Si la greffe n’a pas pris, c’est alors en partie au moins parce que de nouvelles normes complexes, ou du moins se basant sur un système complexe, ont été adoptées sans prise en compte de l’évolution qui a conduit à leur création dans le système français. Ces normes résultaient par ailleurs, en droit français, d’une évolution spécifique liée au territoire mais également à l’organisation décentralisée du territoire. La décentralisation de l’urbanisme fut ainsi l’une des premières mise en œuvre. La structure générale haïtienne n’était pas spécifiquement adaptée à recevoir un droit ayant évolué et ayant été pensé pour la structure française. Si les normes juridiques françaises urbanistiques étaient efficaces, ce n’était ainsi pas tant en raison du contenu spécifique de ces normes que du contexte général dans lequel elles ont été forgées.
De plus, les défis que doit relever l’urbanisme français n’ont rien à voir avec ceux d’Haïti. En France, ce sont d’abord les considérations esthétiques et de salubrité générale qui ont présidé au développement du droit de l’urbanisme. La question de la gestion des risques naturels ne se posait pas initialement, ou du moins pas au même degré qu’en Haïti. Ainsi, là où Haïti nécessiterait plutôt une nomenclature précise et technique liée à la manière de construire pour résister aux séismes, aux ouragans et aux coulées de boue, le droit français général ne lui est que de peu de secours, et c’est vers les détails des plans de prévention des risques, notamment tels qu’ils existent à la Réunion, qu’il aurait fallu tourner la greffe juridique afin qu’elle puisse permettre ce contrôle.
Procéder par étapes, par exemple d’abord avec des plans d’occupation des sols avec un zonage simple afin de couvrir le territoire, aurait alors pu sembler plus approprié. Cette absence de prise en compte de l’évolution, ainsi que de spécificité des normes urbanistiques pour répondre à un besoin précis, peut être mis en parallèle avec la seconde piste d’explication qui réside dans la faiblesse du système administratif et juridictionnel haïtien pour mettre en œuvre et appliquer le droit en général, et ici le droit de l’urbanisme en particulier.
Dans un second temps donc, c’est le système haïtien lui-même qui ne semblait pas prêt à mettre en œuvre un droit de l’urbanisme technique, que celui-ci soit, à vrai dire, transplanté ou non. Beaucoup de choses ont été écrites sur le concept de greffe juridique [16] ; on ne reviendra pas dessus dans la mesure où ce n’est pas l’objet de ces quelques développements. Pour autant, il est impossible de ne pas s’intéresser aux facteurs de facilitation des greffes juridiques. Si les aspects culturels ont été discutés longuement [17], c’est ici un aspect qui s’en distingue un peu, même s’il est lié, qui sera évoqué. Il concerne la capacité du système juridique cible à recevoir la greffe non pas sur les éléments de principe mais, très pragmatiquement, dans son fonctionnement pratique ainsi que dans celui de l’administration. Une greffe juridique qui, en France, aboutirait à faire valider chaque permis de construire par un juge pour son édiction se heurterait au manque de magistrats de l’ordre administratif.
Deux points spécifiques semblent rendre difficile l’application correcte d’une greffe de droit de l’urbanisme en Haïti. Le premier point réside dans la faiblesse de l’appareil administratif de l’État pour édicter les différentes normes d’urbanismes greffées. Le second point réside dans le manque de recours effectivement ouverts devant les juridictions.
L’importation de schémas directeurs et de plans d’occupation des sols nécessitait, pour que la greffe soit effective, une mobilisation importante de l’administration d’État, tant au niveau central que déconcentré et décentralisé [18]. Il fallait en effet du personnel pour élaborer ces documents, en assurer la publicité mais également en assurer l’application par la délivrance de permis de construire. L’absence d’une administration forte [19] et l’instabilité des institutions entrainent une incapacité chronique de l’administration de mettre en œuvre les lois et décrets relatifs à l’urbanisme. En retour, l’absence de publicité des mesures d’urbanismes en vigueur, couplée à la crise économique, sociale et politique et au climat de violence, font que les règles juridiques d’urbanismes ne sont pas mises en œuvre.
Au-delà même de l’administration, un autre problème pour l’application effective de la greffe juridique réside dans le système judiciaire haïtien. Le système n’est pas entièrement à un seul ordre de juridiction, mais il ne présente pas non plus une dualité de juridiction [20]. Pour le dire simplement, il existe un ordre de juridiction unique et général, et à côté un ordre administratif restreint dont la seule juridiction est la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, dont l’existence est prévue par le Chapitre II du Titre VI de la Constitution haïtienne de 1987, aux articles 200 et suivant. Cette juridiction spécifique n’a toutefois qu’une compétence d’attribution, et ses décisions sont susceptibles d’un recours en cassation devant l’ordre judiciaire principal.
Dans ce contexte spécifique, le contentieux de l’urbanisme haïtien dépend des juridictions judiciaires ordinaires, et non de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif. Ce sont donc les juridictions civiles qui sont compétentes pour se prononcer sur la validité des documents d’urbanisme ainsi que de leur application par les permis de construire. Or, l’action de ces juridictions est pour le moins en retrait, pour ne pas dire presque inexistante, en matière d’urbanisme. Rêve des promoteurs français, les administrés haïtiens ne saisissent pas les juridictions pour demander l’annulation d’un document ou d’une décision d’urbanisme. De même, les juridictions ne semblent pas saisies de demandes visant à imposer à l’État ou aux collectivités l’édiction des documents d’urbanismes pourtant prescrits par le droit positif.
La greffe juridique haïtienne reste ainsi largement sans effet, non pas spécifiquement à cause d’un rejet mais parce que le système juridique et administratif lui-même n’avait pas l’envergure suffisante pour le supporter. Résoudre la crise sociale haïtienne ne passera probablement pas par une édiction normative seule. Si en France le droit de l’urbanisme a pu se développer, c’est parce que l’appareil administratif et juridictionnel était déjà présent et capable de permettre la mise en œuvre des normes édictées. En cela, le droit n’est qu’un outil qui ne peut être considéré comme performatif : l’existence de normes juridiques prescrivant des comportements spécifiques ne suffit pas à l’émergence de ces comportements, d’autant plus lorsque lesdits comportements passent par une action de l’État en priorité. Aucune greffe juridique ne permettra alors de doter Haïti d’un droit de l’urbanisme fonctionnel lui permettant de faire face aux nombreuses crises traversées.